Travailler ensemble : mieux comprendre la traite grâce à la coopération public-privé (4/4)
Collecter des données précises, fiables et actualisées est essentiel pour comprendre le business model des trafiquants et faire en sorte que la lutte contre les réseaux de traite soit efficace. Et si la traite des êtres humains est un crime qui génère des revenus et des flux financiers, alors les institutions financières – banques, sociétés de transfert de fonds (Western Union, MoneyGram…), etc. – sont des partenaires naturels pour les autorités en charge de la LBC/FT.
Mobiliser les institutions financières
Soumises à une réglementation spécifique visant à prévenir et détecter le blanchiment et le financement du terrorisme, les institutions financières doivent signaler une transaction qui paraît illicite et peuvent être directement sollicitées par les cellules de renseignement financier pour communiquer des informations sur un mouvement financier suspect. De par leur taille, certaines banques disposent d’ailleurs d’une multitude de données financières et de technologies très sophistiquées, ce qui représente autant de ressources qui pourraient faciliter le travail des acteurs publics, a souligné David Artingstall, expert LBC/FT et chercheur associé au RUSI.
Toutefois, force est de constater que la communication n’est pas encore optimale. L’information n’est pas systématiquement partagée dans un format compréhensible par l’autre partie, a souligné Michael Fowler, du Groupe d’action financière (GAFI/FATF). Pour y voir clair parmi les millions de transactions financières quotidiennes, « il faut nous indiquer le type d’information que l’on doit chercher », a renchéri Alan Perkins de Western Union. Les cellules de renseignement financier doivent notamment préciser leur besoin en définissant des red flags, des signaux d’alerte spécifiques à la traite auxquels prêter attention lors de l’ouverture d’un compte ou d’une transaction ultérieure. Un travail conjoint est clé, mais cela nécessite avant tout de tisser une solide relation de confiance entre public et privé, avec un fort investissement des personnes concernées. Il importe également de renforcer la coopération avec de nouveaux acteurs affectés par les flux financiers illicites. C’est par exemple le cas des organismes de microfinance qui s’investissent dans la mise en place des dispositifs pour lutter contre le blanchiment d’argent et financement du terrorisme, en parallèle de leurs activités intrinsèquement liées à l'enracinement économique de certaines communautés.
Remonter l'information du terrain
Au-delà des banques, d’autres acteurs sont à même de travailler avec les CRF et les autorités en charge des enquêtes. Ces dernières sont souvent confrontées une connaissance imparfaite des réseaux de traite. En contact direct avec les victimes et parfois avec les trafiquants, chercheurs, ONG et même journalistes d’investigation sont bien placés pour collecter des informations venant du terrain. Les données ainsi rassemblées permettent aux autorités de cartographier les réseaux de traite et de mieux comprendre le fonctionnement des groupes criminels, y compris sur le plan financier (modalités de financement, circuit des flux financiers, etc.). Elvis Asiamah, analyste chez World Check, a par exemple présenté les modes de financement extrêmement variées du groupe somalien Al Shabab, du charbon au narcotrafic en passant par la taxation, l’extorsion, le sucre, les checkpoints…
Si l’échange est clé, reste cependant la question du « comment », car acteurs publics et société civile ne sont pas toujours habitués à travailler ensemble. Les organisations à but non-lucratif sont parfois plus perçues comme un risque que comme des partenaires, de par le fait que certaines associations sont impliquées dans le financement de terrorisme. Pourtant, de par leur ancrage local, elles peuvent contribuer à identifier les « poches de risque » existantes et à établir les bonnes pratiques pour prévenir le blanchiment et le financement du terrorisme, ont expliqué Amin Ghali et Yasmine Haloui, dont les organisations sont membres de la Global NPO Coalition on FATF. Il est donc important pour les acteurs de mieux se connaître et de définir des modèles sur la base desquels échanger des informations de façon à accroître l’efficacité de la lutte contre la traite des êtres humains. D’autres acteurs peuvent aussi jouer le rôle de pivot : pour contribuer à faciliter les échanges, l'ONG Liberty Shared (basée à Hong Kong) ait le lien entre les autorités en charge de la LBC/FT et le terrain. « Nous facilitons la remontée d’informations et nous participons à la construction de typologies », a expliqué Archana Kochana, à la tête du département juridique de l’ONG. Tout autant de partenariats utiles à développer pour lutter plus efficacement contre la traite des êtres humains de façon efficace.