Covid-19 : de nouveaux défis pour la lutte contre la criminalité organisée

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La criminalité organisée a profité de la crise sanitaire pour se renouveler, faisant surgir de nouveaux défis face auxquels les réponses ne peuvent être que collectives. « Il ne peut y avoir de société sûre là où les groupes criminels sont actifs », a alerté la direction d’EL PAcCTO, programme européen de lutte contre la criminalité organisée en Amérique latine. La Covid-19 a aussi été au cœur du lancement du programme « Organised Crime : West African Response » (OCWAR), financé par l’Union européenne (et l’Allemagne pour le volet « grands trafics »), qui a vocation à soutenir les Etats membres de la CEDEAO et la Mauritanie dans leur lutte contre le crime organisé.

Pendant que les Etats du monde entier se mobilisent pour limiter l’expansion et les conséquences de la pandémie, le crime organisé tire profit de cette crise inédite. C’est le constat réalisé par l’agence Europol dans un rapport publié le 27 mars 2020.

Les groupes criminels s’adaptent au contexte Covid

A commencer par la cybercriminalité : avec le développement du télétravail, de l’enseignement à distance et des paiements électroniques, « la crise de la pandémie de la Covid-19 a plus que jamais mis en exergue toute l’importance que revêtent les technologies de l’information et de la communication », a expliqué Dr Zouli Bonkoungou, commissaire des Télécommunications et des Technologies de l’information de la CEDEAO, lors du lancement des trois projets OCWAR le 30 octobre dernier. En miroir, l’augmentation de la cybercriminalité a été sensible, exploitant les vulnérabilités des systèmes informatiques parfois mal préparés : désinformation exploitant les personnes vulnérables, hausse des attaques de logiciels malveillants et pertes financières associées. « Le Bénin a par exemple enregistré des pertes de 518 488 dollars pour le premier semestre 2020 tandis que le Burkina Faso a enregistré des pertes de 1 242 820 dollars pour la période du 1er avril au 31 août 2020 », relève Dr Zouli Bonkoungou.

Autre exemple : le développement important des jeux en ligne, légaux ou clandestins, constaté depuis le début de la crise sanitaire, est également facteur de vulnérabilité en termes de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme

Les groupes criminels ont aussi profité du fait que les Etats se concentrent prioritairement sur la gestion de la crise sanitaire pour poursuivre ou développer certains trafics, comme celui de produits médicaux – et ce malgré la fermeture des frontières. Fin mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé alertait par exemple sur le « nombre croissant de produits médicaux falsifiés qui prétendent prévenir, détecter, traiter ou guérir la Covid-19 ». De son côté, Interpol a annoncé que l’opération Pangea avait permis « de procéder à 121 arrestations dans le monde entier et de saisir des produits pharmaceutiques potentiellement dangereux d’une valeur de plus de 14 millions de dollars ».
 

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Pour Xavier Cousquer et Juan Gama, co-directeurs du programme de l’Union européenne EL PAcCTO, la priorité est donc claire : « Il faut rattraper le temps perdu et remobiliser, dès que possible, toutes les ressources disponibles pour faire face à la criminalité organisée ».

Privilégier une approche régionale et plurisectorielle

Le besoin de s’attaquer aux activités criminelles de façon coordonnée est au cœur des 3 projets OCWAR. Face à des activités criminelles multiformes et transnationales par nature, démanteler les réseaux criminels demande une réponse régionale et plurisectorielle. Les projets OCWAR ont été conçus comme une réponse cohérente à ce défi, avec trois volets complémentaires :

 • lutte contre la cybercriminalité et renforcement de la cyber-sécurité (OCWAR-C) ;

 • lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (OCWAR-M) ;

 • lutte contre les grands trafics (OCWAR-T).

OCWAR-T est co-financé par l’Union européenne et la République fédérale d’Allemagne et mis en œuvre par la GIZ, tandis que les deux premiers projets sont mis en œuvre par Expertise France sur financement de l’UE. Ils bénéficieront aux quinze Etats membres de la CEDEAO et à la Mauritanie.
 

 

Le travail simultané sur trois thématiques doit permettre de développer des synergies et la coopération entre Etats. Dans le but de sécuriser le cyberespace ouest-africain, le projet OCWAR-C a notamment appuyé la CEDEAO dans l’élaboration de la future stratégie régionale de cyber-sécurité et de lutte contre la cybercriminalité, ainsi que dans celle de la politique régionale de protection des infrastructures critiques. « Il s’agit d’un vrai travail de co-construction », explique Rabiyatou Bah, coordinatrice du projet OCWAR-C pour Expertise France. Ces deux documents seront présentés pour validation par les ministres de la CEDEAO en charge des télécommunications/technologies de l’information et de la communication lors de leur dix-septième réunion, du 23 au 26 novembre 2020.

Cette approche multithématique est aussi au cœur du programme EL PAcCTO, qui travaille sur l’ensemble de la chaîne pénale (police, justice, pénitentiaire). Financé par l’Union européenne, EL PAcCTO est un programme de coopération régionale contre la criminalité transnationale organisée en Amérique latine. Mis en œuvre par Expertise France et la FIIAPP avec l’appui d’IILA et de l’Institut Camões, il appuie 18 Etats de la région partenaires du programme.

La coordination interinstitutionnelle au cœur de la réponse

Aujourd’hui, face à la réactivité des groupes criminels dans le contexte Covid, « il y a beaucoup à faire, à commencer par un travail de renseignement et d’analyse des différences menaces », expliquent Xavier Cousquer et Juan Gama. L’objectif : anticiper au maximum les tendances à venir, notamment dans des domaines qui évoluent rapidement comme le cyber. L’objectif du Canal Covid, lancé par EL PAcCTO au printemps, était justement de permettre aux services de police, aux institutions judiciaires et aux systèmes pénitentiaires européens et latino-américains d'échanger facilement et rapidement sur leurs expériences, leurs erreurs et leurs réussites concernant les défis liés à la gestion de la crise sanitaire.

La coordination inter-institutionnelle et régionale est elle aussi un sujet majeur et une priorité du programme : « Nous devons être capables de mieux coordonner les réponses apportées à ces défis », soulignent-ils, « au niveau national bien sûr, mais aussi au niveau supranational ». Lutter contre la criminalité organisée nécessite tout d’abord de mieux articuler l’action des institutions policières et judiciaires : c’est l’objectif des équipes multidisciplinaires d’enquête, un dispositif dont EL PAcCTO soutient la mise en place. Ces équipes réunissent des personnels spécialisés sur une même thématique – par exemple la criminalité environnementale, la traite des êtres humains… –,issus d’institutions différentes, essentiellement policières et judiciaires. Le programme EL PAcCTO accompagne également la mise en place de dispositifs pour renforcer la coopération entre Etats, comme la création d’équipes communes d’enquête ou celle du Centre latino-américain de coopération policière à la frontière Panama-Costa Rica, inauguré en juin 2019.

L’argent, le nerf de la guerre

Dernier point soulevé par EL PAcCTO : l’importance de s’intéresser plus systématiquement aux aspects financiers de la criminalité organisée. « L’identification, la confiscation et le recouvrement des avoirs issus du crime, tout comme la lutte contre le blanchiment d’argent et la corruption, sont les coups les plus durs que nous pouvons porter à la criminalité organisée », affirment-ils.

Une priorité qui est aussi au cœur du projet OCWAR-M en Afrique de l’Ouest, consacré spécifiquement à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC-FT). Ce projet mobilise deux experts long-terme, spécialistes, respectivement, des aspects juridiques et financiers de la LBC/FT. Principal partenaire du projet, le Groupe intergouvernemental d'action contre le blanchiment d'argent en Afrique de l'Ouest (GIABA) s’est dit, à travers son directeur général Kimelabalou Aba, « déterminé, avec le soutien de ses partenaires techniques, à accompagner ses États membres pour la mise en œuvre diligente et efficace des mesures de LBC/FT afin d’éviter que les criminels ne profitent de la situation de la Covid-19 pour faire prospérer leurs activités illicites ».
 

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