Entreprendre : espoir et avenir des économies en zone sensible ?

print
Conflits, instabilités politiques ou encore crise sanitaire… De nombreuses difficultés fragilisent l’économie, les sociétés et la stabilité de pays comme l’Irak, la Libye ou le Burkina Faso. Le 7 avril 2021, en partenariat avec Emerging Valley, Expertise France organisait un atelier-débat consacré aux conditions selon lesquelles l’entrepreneuriat peut jouer un rôle dans le développement des économies en zone sensible, en tant qu’outil au service de la stabilisation et de la résilience des sociétés.

Dans de nombreux pays, les conflits, l’instabilité ou encore la crise sanitaire fragilisent à la fois l’économie et le lien social. Dans ce contexte, le développement du secteur privé peut contribuer à créer de l’emploi, à donner des perspectives aux populations et à diversifier l’économie. En Irak, en Libye ou encore au Burkina Faso, accompagner les entrepreneurs et développer un climat des affaires propice à leur activité sont donc des pistes solides pour faire en sorte que l’entrepreneuriat contribue à la stabilisation et, à plus long terme, au développement de ces pays.

Les zones en crise, entre difficultés et opportunités

Causés par une contraction de l’activité, des risques et de la désorganisation liés à l’instabilité, les freins à l’entrepreneuriat dans des pays en crise ou en conflit sont souvent soulignés. Cette affirmation est néanmoins nuancée par Antonis Tsamoulis, attaché de coopération au sein de la délégation de l’Union européenne en Libye : « La Libye est un exemple qui montre que les économies de guerre sont, certes, informelles, mais très dynamiques, car, même en temps de crise, il faut vivre, produire, manger… ».

Dès lors, la crise peut aussi créer des opportunités pour entreprendre : « Dans les contextes de fragilité ou de guerre, il y a un processus plus large de réorganisation économique avec des changements majeurs dans les différents secteurs mais aussi entre les acteurs économiques », ajoute-t-il en insistant sur le dynamisme et la capacité d’innovation des jeunes, portés par les nouvelles technologies.

Le potentiel du digital est d’ailleurs souligné par Hanan El-Abed, entrepreneure libyenne passée par l’incubateur STREAM, dont le développement a été accompagné par le Royaume-Uni, Expertise France et Libyana. Créatrice de l’application Spatula, elle a pu, via Facebook, former d’autres femmes – plus de 100 000 – et les conseiller sur les façons de promouvoir leur entreprise sur Internet. Son souhait est d’arriver à ce que créer une entreprise soit aussi simple que de faire une page Facebook.
 

Une « mentalité start-up » en germe

Même constat dans le Kurdistan irakien, où la jeunesse, très connectée, est motivée et porteuse de solutions. « Les citoyens qui grandissent dans ces zones sont très résilients », souligne Eileen Brewer, directrice de l’accélérateur Takween au Kurdistan irakien, précisant que la plupart sont autodidactes en codage, en ingénierie informatique… Dans cette région, explique-t-elle, « toute une génération arrive en disant : nous pouvons créer un secteur privé, développer l’économie, via des entreprises technologiques ». Une vraie rupture pour une économie irakienne historiquement tournée vers l’exploitation des matières premières ou le bâtiment.
 

A lire aussi : Expertise France mobilisée aux côtés de l’Equipe Europe pour une transition numérique équitable


Cependant, « dans les pays en crise, il manque des services de conseil et de soutien des entrepreneurs », explique Antonis Tsamoulis. Dès lors, l’accent est mis sur l’accompagnement. C’est la raison d’être de l’accélérateur dont Eileen Brewer est la directrice. « On peut leur proposer un espace où se rencontrer, travailler ensemble et développer des entreprises », explique-t-elle. Première structure de ce genre à avoir été créée en Irak, l’accélérateur Takween accompagne le développement de start-ups, proposant des formations mais également une mise en réseau avec des mentors.

Au Burkina Faso, l’accompagnement et la formation sont aussi clés, y compris dans des secteurs non technologiques. C’est le cas dans la région de la Boucle du Mouhoun, appelée « grenier du Burkina Faso » en raison de la forte activité agro-pastorale. Tigoni Jacques-Armand Tiegna, coordinateur de l’incubateur d’entreprises agro-pastorales du Conseil régional de la Boucle du Mouhoun, explique : « La formation professionnelle, c’est la voie royale pour conduire vers l’emploi. Nous menons donc des actions de formation, mais aussi des actions d’accompagnement à la création d’entreprises ». Une action nécessaire pour que les entreprises soient durables.
 

L'action publique décisive pour améliorer le climat des affaires

Néanmoins, travailler avec les entrepreneurs et le secteur privé ne suffit pas : il ne peut y avoir d’entrepreneuriat durable sans écosystème favorable, et c’est là que les acteurs publics entrent en scène. Pour Eileen Brewer, « on a beau former des citoyens, améliorer leurs compétences, si le gouvernement est instable et n’a pas mis en place une politique de soutien aux types d’entreprise que l’on souhaite créer, elles restent coincées ». Immatriculation des sociétés, régime fiscal des entreprises, démarches administratives, accès aux financements ou encore cadre juridique dédié aux entreprises innovantes – les fameux « Startup Act » – : autant de sujets dont les politiques publiques doivent se saisir pour soutenir le développement du secteur privé.

Pour accompagner cette dynamique, la communauté internationale est en mesure de proposer une assistance technique et de partager des bonnes pratiques. « C’est l’approche que nous avons retenu en Libye avec Expertise France : nous nous attachons à donner aux pouvoirs publics les moyens nécessaires pour exercer leur mandat, celui de réguler et stimuler l’économie », explique Antonis Tsamoulis, en référence par exemple aux projets SLEIDSE et EU4PSL. Il souligne le cercle vertueux issu d’une coopération entre privé et public, les entreprises pouvant contribuer au développement de l’économie et aux ressources fiscales et, en retour, l’Etat proposant un cadre sûr et transparent pour favoriser la croissance et l’emploi.

Un rôle moteur pour les acteurs locaux et les diasporas

C’est donc tous les acteurs qui doivent donc travailler de concert, des acteurs publics qui créent et structurent un écosystème favorable à l’essor des initiatives entrepreneuriales aux acteurs du financement et de la formation qui accompagnent et soutiennent les entrepreneurs.

A ce titre, l’implication des acteurs locaux est décisive, comme le montre l’exemple du Conseil régional de la Boucle du Mouhoun : celui-ci a pour mission « d’impulser le développement local » dans la région, explique Armand Tiegna. « C’est dans ce sens que nous avons mis en place l’incubateur du conseil régional », ajoute-t-il. L’incubateur, soutenu par l’Union européenne et Expertise France, a pu accompagner des projets de jeunes et de femmes dans ces zones sensibles et éloignées de la capitale, contribuant par là même à stimuler et diversifier la production locale.

Les diasporas ont également un rôle central à jouer dans le développement de l’entrepreneuriat local. « Nous tendons régulièrement la main vers la diaspora, en leur demandant non seulement de l’investissement, mais aussi des conseils dans le domaine des affaires », explique Eileen Brewer.
 

 

« La diaspora apporte de l’innovation, partage son expertise avec les acteurs locaux et est un relais entre les acteurs du Sud et les acteurs du Nord », confirme Aïssata Diakité, fondatrice et PDG du groupe Zabbaan. Spécialisé dans l’agroalimentaire équitable, le groupe travaille avec des petits exploitants maliens et propose ses produits à la fois au Mali et à l’international. « [La diaspora] peut apporter une nouvelle vision, des modèles qui existent déjà ou de l’innovation, ainsi que de l’aide financière ou technique », renchérit Awa Dembelé, fondatrice et PDG de DAMEGREEN, qui propose un modèle de compostage des déchets verts en les transformant en engrais organique.

« Un grand espoir, de l’innovation, le dynamisme des jeunesses mais aussi le besoin d’accompagnement, au niveau central comme au niveau décentralisé : c’est ce que l’on retient de cet atelier », conclut Séverine Peters-Desteract, modératrice et responsable du pôle Economie, secteur privé et commerce au sein du département Gouvernance économique et financière d’Expertise France.

 

Revoir l'atelier 

 

 

Dernières publications