Renforcement des acteurs de la chaîne pénale en Afrique de l’Ouest : faire en sorte que « le crime ne paie pas »

print
Afrique subsaharienne
La lutte contre le terrorisme est une priorité absolue pour l'Union européenne et ses États membres sur leur sol ainsi que dans leur action extérieure. Or, pour aider les pays partenaires à lutter contre le terrorisme, il est primordial d’agir sur les sources de financement des individus et des groupes terroristes. Financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France, en partenariat étroit avec le Groupe Intergouvernemental d’Action contre le Blanchiment d’Argent en Afrique de l’Ouest (GIABA), le projet OCWAR-M œuvre ainsi depuis 2019 pour aider les pays de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest et la Mauritanie à renforcer leurs dispositifs de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT).

Cet accompagnement prend notamment la forme d’activités de renforcement de la chaîne pénale. En partenariat avec l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM), avec laquelle Expertise France a signé une convention en août 2020, un accompagnement spécifique a ainsi été mis en place pour les onze pays francophones et lusophones  de droit continental de la CEDEAO. Des experts de l’ENM et des experts régionaux ouest-africains ont ainsi développé cinq modules de formation, dont l’un porte sur la saisie et le recouvrement des avoirs, enjeu essentiel de la LBC-FT en Afrique de l’Ouest.

« Les acteurs de la chaine pénale constituent un maillon essentiel dans le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme » explique Mamadou Thiandoum, Officier de police judiciaire (OPJ) et expert régional participant à cette activité de formation des Cellules de Renseignement Financier (CRF), OPJ et magistrats ; en effet, il est essentiellement du ressort de ces acteurs de détecter et de réprimer les faits de BC-FT, y compris par la confiscation des avoirs criminels, qui est l’objectif ultime de la lutte.

S’attaquer aux profits du crime

« La zone ouest africaine rencontre des difficultés dans la mise en place d’un dispositif robuste de LBC-FT. Les raisons tiennent à plusieurs facteurs rattachés à l’insuffisance du cadre juridique, au manque d’appropriation des instruments juridiques par les acteurs, (…) à l’absence de structure dédiée à la question de la saisie et du recouvrement et au recours sporadique à la coopération internationale » indique Cheikh Bamba Niang, Magistrat et expert régional.

« L’enjeu est primordial en Afrique de l’Ouest comme dans l’ensemble des régions du monde. On sait que le développement d’une économie souterraine (…) conduit inévitablement à la prolifération de la délinquance, au développement de la corruption et donc à terme à la déstabilisation de régions entièresAméliorer l’efficacité des dispositifs de saisie et confiscation, c’est participer à la lutte contre le crime, affaiblir les réseaux criminels en les privant de leurs moyens d’action, lutter contre l’impunité » souligne Serge Tournaire, Magistrat et expert de l’ENM. Renforcer la saisie et le recouvrement des avoirs relève selon lui « d’une approche élargie de la sanction, qui ne doit pas se limiter à des peines d’emprisonnement mais [doit] également faire en sorte que « le crime ne paie pas », en « privant les délinquants et leur entourage des profits tirés de leurs activités illégales. ».

Une approche basée sur l’apprentissage mutuel

Pour répondre à ce besoin de formation de la chaîne pénale LBC-FT en Afrique de l’Ouest, l’équipe d’OCWAR-M a souhaité mettre en œuvre un vaste programme adapté au contexte sous-régional. « La conception des modules de formation par des experts ENM et régionaux a été accompagnée par des magistrats enseignants à l’ENM. Cette méthode a permis d’aboutir à des modules complets et techniques malgré la situation sanitaire » indique Elie Renard, directeur adjoint de l’ENM.  « Il s’agit d’une construction collective se nourrissant des connaissances et expériences croisées de ces experts en vue de garantir la plus grande spécificité et spécialisation de ces modules véritablement sur-mesure pour les acteurs, tenant compte de leurs dispositifs légaux et des meilleures pratiques existantes, tant au plan régional qu’international » explique Claire Dollmann, Magistrat et expert OCWAR-M.

Ainsi, l’équipe d’experts mise en place par OCWAR-M a pour but d’accompagner les acteurs-clés des Etats dans « l’objectif de privation des avoirs issus des infractions, qui ne peut se réaliser que s’ils se dotent de mécanismes de saisie, d’identification et de confiscation des avoirs criminels » indique Cheikh Bamba Niang. « Pour ce faire », poursuit-il, les experts régionaux ont procédé à « une revue documentaire de la législation des États concernés par le projet [et] ont analysé les faiblesses que présentent le cadre juridique et les différentes stratégies qui y sont mises en place. » Ceci a permis de « contextualiser la formation (…) en essayant de dégager en amont les besoins des acteurs de la chaîne pénale » de ces pays, complète Mamadou Thiandoum.

Les experts de l’ENM ont, quant à eux, pu partager l’expérience acquise sur le terrain avec leurs collègues ouest africains. En effet, depuis 2010, la France a renforcé son dispositif de saisie et confiscation, notamment en créant une agence dédiée, l’AGRASC (Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués).

L’élaboration des modules de formation a permis, selon Mamadou Thiandoum, « un échange d’expériences fructueux pour une meilleure harmonisation des mécanismes de lutte contre le BC-FT et des procédures de saisie et de recouvrement des avoirs ». Francis Mardonao, expert de l’ENM, indique que cette dynamique d’apprentissage mutuel se poursuivra durant les formations, pendant lesquelles les acteurs de la chaîne pénale pourront « partager leurs méthodes de travail, les difficultés rencontrées mais aussi les succès » lors de travaux sur des cas pratiques concrets inspirés de cas réels.

 

En savoir plus sur le projet OCWAR-M

Dernières publications