« L’électrification rurale décentralisée dispose d’un réel potentiel en Côte d’Ivoire »

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Côte d'Ivoire
Dans le cadre du projet ECLER IVOIRE, Expertise France travaille entre autres sur l’électrification par voie solaire de localités rurales isolées. Ce projet, financé par l’Union européenne, accompagne les autorités ivoiriennes dans leurs efforts pour garantir un accès universel à l’énergie sur leur territoire d’ici 2025. Focus sur les activités centrées sur les défis de l’électrification des zones rurales avec Bruno Legendre, expert technique pour le projet ECLER IVOIRE.

Quel bilan faites-vous de l’accès à l’électricité en zone rurale en Côte d'Ivoire ?

Bruno Legendre – En zone rurale, il n’est pas toujours évident d’avoir accès à l’électricité, que la localité ait été raccordée au réseau national d’électricité ou pas.

Les localités rurales qui ne sont pas raccordées au réseau national manquent d’information sur le calendrier d’électrification décidé au niveau central. Cela les empêche de réfléchir à des stratégies d’électrification alternatives, tandis que les populations sont en attente d’un accès à l’électricité qui ne se concrétise pas. Certains vont donc chercher à s’équiper eux-mêmes, notamment avec des kits « pay as you go ». Cela permet aux individus d’avoir accès à l’énergie, mais cette offre comporte certaines limites. La première est que l’usager doit lui-même acheter la technologie qui va lui permettre de disposer d’électricité, alors qu’avec un service public de l’électricité, l’usager paye le service mais n’a pas à faire l’investissement initial. L’autre limite, c’est qu’il ne s’agit pas d’une solution durable : les garanties et la maintenance s’arrêtent à la fin du contrat de financement, soit trois à cinq ans après. Enfin, cette offre ne permet pas de satisfaire les besoins en énergie liés à l’exercice d’une activité économique.
 

 En zone rurale, il n’est pas toujours évident d’avoir accès à l’électricité 

 

Dans le cas des localités rurales déjà raccordées, le taux de pénétration du service public de l’électricité est souvent resté faible. Autrement dit, peu d’usagers ont réellement accès au service. Cela s’explique par le fait que le raccordement au service a un coût. Celui-ci, par conséquent, n’est pas subventionné hors zone urbaine. Par ailleurs, la facturation se fait tous les deux mois : pour des populations rurales qui ont une trésorerie limitée et achètent plutôt en petite quantité, ce système n’est pas vraiment adapté. Ce sont des points d’attention forts sur lesquels cependant les stratégies nationales de développement de l’accès à l’électricité évoluent rapidement.

Etant donné ce constat, en quoi l’électrification décentralisée par voie solaire est-elle une piste intéressante ?

L’électrification décentralisée consiste à installer un accès à l’électricité dans des localités sans passer par le réseau national d’électricité : l’énergie est donc produite localement. Elle peut être fondée sur des énergies renouvelables, par exemple le solaire, comme c’est le cas dans le cadre d’ECLER IVOIRE.

L’évaluation menée dans le cadre du projet en 2019 a montré que les localités non raccordées au réseau étaient plus nombreuses que prévu : beaucoup d’entre elles n’avaient pas été jusqu’alors comptabilisées car elles n’avaient pas de statut officiel. Mais ces « campements » sont devenus des lieux de résidence permanents qui doivent bénéficier, au même titre que toute localité, d’un accès aux services publics : dès lors, le nombre de localités à électrifier par voie décentralisée est passé d’environ 96 en 2015 à plus de 15 000 en 2019. Cette nouvelle évaluation change complètement la donne et exige de penser à de nouvelles stratégies de financement et d’exploitation du service public.
 

 Dans plus de 50% des cas, l’électrification décentralisée par voie solaire peut être moins chère sur le moyen terme 


Les études réalisées par ECLER IVOIRE ont par ailleurs permis de conclure que, dans plus de 50% des cas, l’électrification décentralisée par voie solaire pouvait être moins chère sur le moyen terme que le raccordement au réseau national – si l’on se fonde sur le coût marginal d’extension du réseau et non sur son coût moyen. Le calcul de ce dernier est en effet fortement biaisé par le poids que représente la desserte de grandes villes comme Abidjan, où le coût de développement du réseau de transport est bien plus faible que lorsqu’il s’agit de desservir une localité isolée : les contraintes d’accès, dues entre autres au mauvais état des infrastructures routières et aux reliefs et massifs forestiers, renchérissent fortement les coûts d’investissement et d’entretien des lignes électriques.

Dans ce contexte, l’électrification rurale décentralisée dispose un fort potentiel en Côte d’Ivoire, d’autant plus que l’amélioration des technologies ces dernières années permet d’envisager des solutions qui permettent de mettre en œuvre, de façon compétitive, un niveau élevé de qualité de service.

Comment cela s’inscrit-il dans la stratégie d’électrification rurale des autorités ivoiriennes ?

Notre objectif, c’est d’accompagner la stratégie nationale d’électrification : depuis le lancement du projet, nous travaillons en étroite collaboration avec nos interlocuteurs ivoiriens, en l’occurrence la direction générale de l’Energie, la société publique CI-ENERGIES et l’ANARE-CI, l’autorité de régulation de l’énergie en Côte d’Ivoire. Ils ont été associés à toutes les étapes, de sélection des sites, d’élaboration du cahier des charges techniques, de sélection des entreprises chargées de la construction des mini-centrales et de contrôle des travaux.
 

 Nous avons produits des outils d'aide à la décision 


Mais surtout, notre choix a été de partager avec eux de nombreux éléments d’orientation et d’analyse, en alimentant la réflexion sur les conditions économiques et opérationnelles de déploiement d’un service public de qualité et accessible. Nous avons ainsi produit des outils d’aide à la décision, basés sur des hypothèses de calcul réalistes et transparentes, permettant d’évaluer la pertinence d’un investissement décentralisé, la structure des coûts du service public et les modalités de sa tarification. Ces outils sont mis à disposition de toutes les parties prenantes, qui peuvent modifier les hypothèses de départ. Cette dimension de conseil est la vraie plus-value d’un projet comme ECLER IVOIRE et nous a permis de construire une relation de confiance avec les autorités.
 

 Cette dimension de conseil est la vraie plus-value d'un projet comme ECLER IVOIRE 


Le développement d’un cadre réglementaire et tarifaire adapté, qui prenne en compte les spécificités de l’électrification rurale décentralisée tout en maintenant la cohérence de l’offre de service public au niveau national, constitue aujourd’hui le défi majeur à relever pour que les références acquises dans le cadre d’ECLER IVOIRE, aussi pertinentes soient-elles, soient traduites dans une stratégie efficace pour la desserte durable de milliers de lieux d’habitation jusque-là délaissés.

 

En savoir plus sur le projet ECLER IVOIRE 

Financé par l'Union européenne dans le cadre du programme ENERGOS II d’appui au secteur de l’énergie en Côte d’Ivoire, le projet ECLER IVOIRE vise à contribuer au développement des énergies renouvelables en zones rurales et à promouvoir l’efficacité énergétique dans les bâtiments publics en Côte d’Ivoire. Il est mis en oeuvre par Expertise France depuis 2017.

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