Tribune d'Audrey Rojkoff : les enjeux de la transition juste en Afrique du Sud

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Afrique du Sud

La « transition énergétique juste » (Just Energy Transition JET) est un processus complexe et qui s’inscrira dans la durée puisqu’il tente de réconcilier tensions et paradoxes qui traversent la société sud-africaine, à la recherche d’un point d’équilibre entre ce que coûtent les inévitables compromis à faire à court terme et les perspectives d’un avenir où la nature et tous les hommes et toutes les femmes prospèreront. Ce processus suppose un consensus, à construire patiemment.

Un processus en 5 étapes

Par Audrey Rojkoff
Directrice régionale pour l'Afrique australe,
Directrice nationale pour l'Afrique du Sud pour l'AFD (Agence française de développement)

 

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Un consensus politique d’abord pour qu’un pays prenne la décision de s’engager dans une transition énergétique juste. En Afrique du Sud, pays parmi les plus émetteurs de gaz à effet de serre et les plus inégalitaires du monde, la décision politique est prise, forte et unanime. Elle a été suscitée par la conjonction d’éléments externes, notamment l’instauration d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe, premier partenaire commercial, et d’éléments internes, notamment les revendications de la société civile pour vivre dans un environnement sain et bénéficier d’un meilleur partage des opportunités.
Les différents partis politiques, les différentes composantes de la société, les différents acteurs économiques sont tous d’accord pour engager l’Afrique du Sud sur la voie de la décarbonation qui non seulement répare les inégalités mais promeut la justice sociale.

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Les choses ne sont pas pour autant simples, et la façon de mettre en oeuvre la transition divise encore, plus précisément sur son rythme. Vaut-il mieux corriger d’un coup la trajectoire, prendre en compte l’urgence climatique, mettre en fusion simultanément tous les pans de l’économie, au risque de sacrifier, au moins temporairement, les travailleurs des secteurs les plus carbonés ? Ou vaut-il mieux s’assurer d’abord que chacun puisse trouver sa place, reconvertir les hommes et les territoires, inventer et adopter les nouvelles technologies, avant de fermer les centrales à charbon, au risque d’y parvenir lorsqu’il sera trop tard ?

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Chaque transition énergétique juste est différente. Le processus sud-africain n’est pas duplicable d’un pays à l’autre. Son point de départ, sa définition, ses composantes, ses enjeux, sa vitesse, et la méthode pour mettre en oeuvre une transition juste sont propres à chaque contexte géographique, historique, politique, économique, social et environnemental.

Chaque pays doit décider de ses méthodes et de son rythme, choisir ses propres compromis, faire ses propres calculs, selon l’interdépendance de son économie vis-à-vis du reste du monde et selon la structure de sa société. La mobilisation de la recherche est ici essentielle, comme l’Afrique du Sud a su le faire, notamment pour mesurer les risques climatiques et leurs impacts sur son système économique et financier.

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Le dialogue de politique publique entre pays reste néanmoins utile. La plupart des pays du monde recherchent cet équilibre où prospèrent les hommes et la nature, où les ressources sont consommées de façon à non seulement protéger le vivant mais également à faire en sorte qu’il s’épanouisse. Le partage d’expériences, basé sur les réussites comme sur les erreurs, fera progresser tous les partenaires. C’est le rôle des institutions internationales d’encourager le dialogue entre processus nationaux pour conforter les acteurs. Le premier prêt de politique publique de la France en Afrique du Sud, via l'AFD, vise précisément à promouvoir le dialogue entre nos deux pays. Il est accompagné d’appuis en subventions qui financent la recherche locale, que ce soit sur les impacts sociaux de la transition, les options envisageables pour la reconversion de centrales à charbon, les potentiels en termes de création d’emploi et les opportunités de mobilisation de la finance climat. Les conclusions de ces travaux viendront nourrir la fabrique de la politique JET, éclaireront les choix politiques et contribueront à dessiner les réformes à conduire.

 

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Un plan d’investissement sud-africain est par ailleurs en cours de préparation. Il sera nécessairement évolutif, en fonction des grandes lignes politiques choisies. Il indiquera comment concrètement mettre en oeuvre la JET et il exprimera la demande sud-africaine à l’égard des institutions de financement. Et il faudra certainement s’attendre à l’expression d’une demande en matière d’innovation financière, pour que la finance puisse accompagner la JET et limiter les freins à son ambition et son ampleur. La « finance de transition » reste en effet à inventer, celle qui permettra d’intensifier nos approches partenariales, de combiner nos instruments et nos savoir-faire, de mobiliser le secteur privé et de prendre davantage de risques en tentant d’atteindre les plus défavorisés.
Le groupe AFD dans son ensemble, avec Proparco et Expertise France, entend prendre toute sa part dans cette réflexion passionnante.

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