« Soutenir les ONG locales est la clé d’une relance pérenne au Liban »

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Liban
Alia Farhat est directrice adjointe de l’ONG Al Majmoua. Plus grande institution de microfinance du Liban, elle est soutenue par le groupe AFD dans le cadre du projet Shabake, visant à renforcer les capacités d’organisation de la société civile libanaise. À l’occasion du Forum de Paris sur la Paix, elle revient sur l’importance de la localisation de l’aide.

Quel est le contexte actuel au Liban en matière d’emploi et d’entrepreneuriat ?

Depuis 2019, le Liban fait face à une vaste crise sociale, financière, bancaire et institutionnelle, aggravée par la crise sanitaire, l’explosion dans le port de Beyrouth en août 2020 et l’inaction de l’État. Les populations sont lourdement affectées, qu’il s’agisse des Libanais ou des autres nationalités présentes sur le territoire, à l’instar des plus de 800 000 réfugiés syriens ou des plus de 400 000 réfugiés palestiniens.  Le marché de l’emploi s’est effondré, sans aucune aide au chômage. En parallèle, l’inflation galope. Résultat : la pauvreté affecte désormais près de 74% de la population.

Beaucoup de petites et moyennes entreprises ont fermé. Toutefois, comme dans toute crise, des opportunités entrepreneuriales émergent. C’est le cas dans l’agriculture, un secteur négligé depuis près de 30 ans. De petites entreprises de vente de produits agricoles ou transformés parviennent désormais à croître. Le digital représente une autre niche de développement : de nombreux jeunes s’en emparent, notamment pour créer des entreprises de vente en ligne.

 

Quelle est plus spécifiquement la situation des jeunes libanais, justement ?

Ils sont nombreux à faire le choix de l’entrepreneuriat, qui est très ancré culturellement au Liban. Ils s’intéressent au digital, mais aussi à l’entrepreneuriat social et solidaire. Nous avons vu émerger des projets liés au recyclage par exemple, en réponse à une grave crise de gestion des déchets. D’autres proposent des fertilisants organiques pour l’agriculture, ou des solutions d’optimisation pour la gestion de l’eau. Il existe un vivier de jeunes qui ont beaucoup d’idées, sont plus optimistes que leurs aînés et veulent changer les choses. Pour assurer la pérennité de leurs projets, il est essentiel de les accompagner.

Les femmes font-elles face à des défis particuliers ?

Les crises ont eu un impact plus fort sur l’entrepreneuriat des femmes. Au moment de la crise sanitaire notamment, il s’est avéré plus difficile pour celles qui travaillaient de chez elles de gérer l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle et de maintenir leur activité. Aujourd’hui, elles doivent être accompagnées pour repenser la nature de l’activité qu’elles peuvent créer ou relancer, en s’adaptant à leur quotidien.

Quel est le rôle des ONG dans ce contexte ?

En l’absence d’action gouvernementale, les ONG prennent le relais. Un nombre important d’organisations locales et internationales, ainsi que des agences des Nations unies sont présentes sur le terrain. Leur travail couvre 14 secteurs de coordination : de la protection aux besoins de base, en passant par la sécurité alimentaire, l’éducation ou la santé.

Que propose votre organisation, Al Majmoua ?

Al Majmoua a été créée en 1997 pour fournir des produits financiers et permettre l’accès aux services financiers aux petits entrepreneurs, en priorité les femmes. En 2019, elle était devenue la plus grande organisation de microcrédit du pays, avec 92 000 clients actifs.

En 2005, nous avons élargi notre activité en créant un département dédié aux services non financiers. Nous proposons ainsi aux entrepreneurs des formations en gestion financière, des aides à la création et à la gestion d’entreprise, du coaching personnalisé ou encore des appuis pour enregistrer leur structure, dans un pays où 90 % des très petites ou moyennes entreprises restent informelles. Nous mettons également à disposition des outils de mise en réseau, en particulier pour les femmes et les jeunes, pour favoriser l’échange d’expériences et la circulation d’opportunités.

Que vous a apporté le projet Shabake ?

Shabake a permis la mise en place d’un programme de relance et d’appui économique pour les petites entreprises affectées par l’explosion du port de Beyrouth. Il nous a permis de faire face à l’urgence et d’assurer leur survie.

En parallèle, le projet a contribué à développer la localisation de l’aide au Liban, en renforçant les capacités institutionnelles des ONG locales par de la formation et de la mise en réseau.

Le projet nous a soutenues à la fois dans la mise en œuvre de nos projets, dans la coordination avec les organisations internationales et agences onusiennes, et dans l’accès à des financements directs.

En échangeant avec d’autres ONG locales autour de nos défis communs, nous avons noué des liens puissants, qui nous permettent aujourd’hui de construire des projets ensemble. En tant que membre du comité de pilotage du Lebanon Humanitarian and Development Forum of Local NGOs, réseau qui fédère les ONG humanitaires et de développement du Liban, cet apport de Shabake en matière de mise en relation des acteurs me paraît essentiel.

 

Quelles sont vos perspectives aujourd’hui ?

Nous nous réjouissons du lancement du deuxième volet du projet Shabake. En matière de localisation de l’aide, nous continuons d’avancer avec les donateurs et les organisations nationales et internationales pour pérenniser nos efforts. Au niveau d’Al Majmoua, notre défi est d’obtenir du capital en dollars, car la livre libanaise a perdu près de 90 % de sa valeur ces dernières années. Nous cherchons également une alternative à l’assistance en don, pertinente dans l’urgence mais pas au long cours. Une approche mixant prêt et don serait intéressante dans un premier temps, pour poser les bases d’une relance économique pérenne.

Qu’attendez-vous du Forum de Paris sur la Paix ?

Beaucoup ! Nous souhaitons avant tout mettre en avant les synergies rendues possibles par le projet Shabake et souligner l’importance de la localisation de l’aide.

Nous voulons proposer des modèles d’aide au développement innovants, dans lesquels les organisations locales ont davantage voix au chapitre.

 

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