Miser sur le renforcement des refuges pour les femmes victimes de violences en Amérique latine

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Amériques
Dans un contexte de pandémie marqué par la hausse des violences envers les femmes en Europe comme en Amérique latine, un webinaire co-organisé par EUROsociAL+ et le Réseau interaméricain des réfugiés (RIRE) a permis de présenter une étude régionale sur les refuges pour les victimes de violence sexiste en Amérique latine. Cela a également été l'occasion de formuler trois recommandations pour les Etats afin d'augmenter le nombre de refuges.

« Personne ne nous arrêtera ! Nous continuerons à prévenir, punir et éradiquer les violences de genre » affirmait Linda Poole, ancienne secrétaire exécutive de la Commission interaméricaine des femmes (CIM-OEA), décédée le 28 octobre 2020 à Panama.

Expertise France, à travers EUROsociAL+, programme financé par l'Union européenne, a organisé avec le Réseau interaméricain des réfugiés (RIRE) un webinaire pour rendre hommage à cette « héritière de la lutte pour le droit de vote » qui a contribué à changer un paradigme social par le biais d'un instrument juridique : la Convention Belém do Pará.

Outre cet hommage, ce séminaire a également été l'occasion de présenter une étude régionale sur les refuges pour les victimes de violence sexiste en Amérique latine, qui dresse la carte des refuges dans 16 pays d'Amérique latine et des Caraïbes hispanophones. En Europe, ce travail est assuré par Women against Violence Europe (WAVE), le principal réseau en charge de cartographier les services de soutien en la matière comme les lignes téléphoniques d'assistance, les refuges ou centres d'accueil pour les survivantes de violences de genre. Dans l'un de ses récents rapports (2018), WAVE a constaté que seuls cinq États membres de l'Union européenne respectaient les normes minimales fixées par la Convention d'Istanbul en termes de lits dans les refuges pour femmes.

Ainsi, les deux régions – l'Amérique latine et l'Europe – sont confrontées à un défi commun : la nécessité, notamment en période pandémique et face à une recrudescence de la violence sexiste, de renforcer les services d’appui aux femmes victimes de violences.

La Convention de Belém Do Pará, un instrument ayant inspiré l'Europe

Au cours du webinaire, Georgina Leiro, l'une des rédactrices de la Convention de Belém do Para, a rappelé que Linda Poole, en tant que secrétaire exécutive de la CIM de 1986 et 1996, avait promu la création d'un groupe de travail technique pour rédiger ce texte législatif sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, et ainsi générer des normes internationales capables de contraindre les États d'Amérique latine et des Caraïbes à réagir face aux inégalités de genre. Pendant 5 ans, Linda Poole a milité pour que ce texte soit approuvé.

Après 32 modifications, il a finalement été signé en juin 1994 par 34 États membres de l'Organisation des Etats américains (OEA). Cette Convention – entre autres – vise à défendre le droit des femmes « à être valorisées et libérées des modèles de comportement stéréotypés et des pratiques sociales et culturelles fondées sur des concepts d'infériorité et de subordination », comme l'a rappelé Alejandra Mora Mora, actuelle directrice exécutive de la CIM.
 


Au fil des années, la Convention a été moteur de transformations dans la région en la matière. On peut mentionner la réforme des systèmes judiciaires ou la mise en œuvre de politiques publiques prenant en compte la perspective de genre par exemple. Mais ce texte législatif, l’unique mandat régional œuvrant en faveur de l’élimination de la violence à l'égard des femmes, est rapidement devenu un instrument juridique inspirant en Europe. Aujourd'hui encore, Linda Poole est reconnue comme l'auteure intellectuelle de la Convention de Belém do Pará, un texte qui ne cessera de résonner dans le temps et d'être un guide précieux pour l'action dans ce domaine.

Les refuges et des services d’appui aux victimes : un droit à la protection et au soutien

Le webinaire a aussi été l’occasion de présenter l’étude régionale sur les refuges pour les victimes de violence de genre en Amérique latine. Cette cartographie s'inscrit dans le cadre d'un projet conjoint entre le MESECVI (mécanisme de suivi de la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l'éradication de la violence à l'égard des femmes) et d’Expertise France, à travers la composante Politiques égalité de genre du programme EUROsociAL+, qui vise à contribuer à la prévention de la violence à l'égard des femmes. Cette étude se fonde en partie sur un questionnaire qui a été envoyé à toutes les autorités nationales responsables de la question de la violence à l'égard des femmes en Amérique latine. Le niveau élevé de réponses a permis de disposer d'informations officielles actualisées sur les refuges dans cette région.

Les refuges sont structurés autour de quatre principes de base : ils sont gratuits, confidentiels, accessibles et féministes. Le séjour des femmes victimes de violence et de leurs enfants comprend plusieurs étapes (de l'admission à la sortie) afin qu'elles puissent reprendre confiance en elles et s'orienter vers une vie indépendante :

Parmi les conclusions du diagnostic, les tendances suivantes en matière de refuge dans la région d'Amérique latine ont été identifiées :

1. Augmentation du nombre de refuges

Si dans les années 1990, le nombre de refuges en Amérique latine était très faible, dans les décennies suivantes, et surtout au cours du nouveau siècle, ce nombre n'a cessé d'augmenter. Par exemple, au Chili, qui ne disposait d'aucun refuge au siècle dernier, 43 refuges pour les cas de violence et un refuge spécialisé pour les victimes de traite ont été créés en 2007. L'Argentine est passée de 20 à 167 refuges ; la Bolivie, en 2004, a déclaré 23 refuges. Le Pérou, quant à lui, est passé d'un seul refuge en 1999 à 34 aujourd'hui. Actuellement, rien que dans les 16 pays étudiés, on compte 568 refuges.

2. Normalisation législative

L'anomie qui existait au début des années 1990 a été progressivement remplacée par des lois nationales, des plans d'action, des programmes nationaux et provinciaux qui incluent les refuges dans les politiques publiques. La gestion des centres d'accueil, qui au début s’appuyait sur un minimum de règles et essentiellement sur le volontariat, a été progressivement modifiée pour laisser place des modèles de gestion plus codifiés, la création de protocoles et de guides d'action qui réglementent l'accueil des femmes victimes de violence et le développement des services qu'ils offrent.

3. La prise en compte progressive de la question des refuges par l'État

Les premiers refuges ont été créés, pour la plupart, par des groupes de femmes et des collectifs féministes. L'idée était de garantir la vie et l'intégrité physique des femmes victimes de violences. Cette initiative de la société civile organisée a été rendue visible par les mouvements de femmes qui ont porté ce problème au cœur de l'agenda public. En conséquence, des mécanismes institutionnels ont été progressivement créés pour guider les fonctionnaires dans l'exercice de leurs fonctions. Dans la plupart des pays en Amérique latine, le niveau étatique en charge des refuges est le niveau municipal, qui assume le soutien budgétaire de ces dispositifs.

Cette évolution, c'est-à-dire le fait que les gouvernements nationaux soutiennent de plus en plus les services d'hébergement des femmes, a été favorisée par l'approbation de la Convention de Belém do Pará, qui a marqué un tournant à partir duquel les maximes féministes "ce qui ressort de la sphère privée est un enjeu politique" ou encore "ce qui relève de la sphère personnelle revêt une dimension publique" ont commencé à devenir effectives. Malgré cela, il convient de noter que, si les États ont commencé à reconnaître la nécessité de préserver les refuges et à encourager leur multiplication (au Mexique, ils ont été légitimés par la Loi générale sur l'accès des femmes à une vie sans violence, LGAMVLLV), aujourd'hui les gouvernements se battent pour obtenir des fonds et n'hésitent pas à recourir à des coupes budgétaires. Par exemple, en mai 2020, en pleine campagne d'austérité pour faire face à la pandémie, le gouvernement mexicain a annoncé que le financement des centres d’accueil pour les femmes indigènes (30 maisons des femmes indigènes, chacune recevant entre 25 000 et 40 000 dollars par an) serait réduit, ce qui coïncide avec une augmentation des signalements de violences domestiques pendant l'enfermement. Une décision d’autant plus alarmante qu'au Mexique, comme dans d'autres pays d'Amérique latine, la principale source de financement des refuges est étatique :

4. Identification de lignes budgétaires spécifiques

Progressivement, les États ont cherché à identifier les lignes budgétaires dédiées aux refuges, afin de mesurer les efforts pour garantir la sécurité et la protection des victimes. Onze pays sur 16 ont fourni des données sur leurs budgets. D'autres ont inclus ce montant dans le budget des organismes œuvrant pour l'égalité des genres, qu'il s'agisse de ministères, de secrétariats ou d'instituts.

5. Coupes budgétaires pendant la pandémie

Au Honduras, de nombreux refuges sont actuellement sous pression pour répondre à la demande croissante des femmes en détresse (Rapport du Bureau Régional d’ONU Femmes, Prévention de la violence contre les femmes face à la Covid-19 en Amérique latine et dans les Caraïbes, avril 2020). À Cuenca, en Équateur, la maison d’accueil pour les survivantes de violences de genre est saturée. Malgré le fait que la crise sanitaire ait exacerbé ces violences en raison du confinement à domicile, de la fermeture des écoles, de la surcharge de travail des soignants ; plusieurs pays ont réduit les budgets qu'ils avaient alloués aux refuges, parfois de manière drastique.

Conclusion et perspectives

Les gouvernements d'Amérique latine – surtout depuis l'adoption de la Convention de Belém do Pará – ont accordé une plus grande attention à la place des inégalités de genre dans leurs agendas politiques respectifs. Mais, malgré l'engagement croissant des gouvernements pour éliminer la violence fondée sur le genre et l'augmentation du nombre de refuges au cours de la dernière décennie, le chemin à parcourir pour obtenir des services de soutien pour les femmes victimes de violence est encore long. Par manque de moyens, nombreux sont les pays de cette région qui offrent des services d'hébergement insuffisants. Et, parallèlement, ceux qui disposent de plus grandes ressources se retrouvent saturés.

Ce phénomène est également présent sur le vieux continent, où le Parlement européen, situé dans le centre de Bruxelles, a été obligé, en mai 2020, de réaffecter l'un de ses bureaux en refuge temporaire pour les femmes sans abri ou victimes de violences domestiques, particulièrement touchées par la pandémie.

Dans ce cadre et afin d'augmenter le nombre de refuges, trois recommandations ont été formulées aux États lors du webinaire :

• Affecter les fonds nécessaires aux refuges et services d’appui aux femmes victimes de violence ;

• Prendre des mesures pour que ces centres d’hébergement restent toujours aptes, actifs et prêts à accueillir les femmes ;

• Après avoir constaté que peu de pays évaluent les politiques publiques mises en place en matière de refuges, il a également été recommandé de procéder à un suivi systématique, en identifiant les difficultés rencontrées et les résultats obtenus.


Face au manque de chiffres fiables sur le sujet, l'étude régionale sur les refuges pour les victimes de la violence sexiste en Amérique latine (qui sera publiée prochainement) constitue un document précieux qui permet aujourd’hui d’identifier le nombre de refuges dans la région, le type de services qu'ils fournissent et les mécanismes étatiques de supervision à l’œuvre. Par conséquent, dans la phase de redressement économique post-covid et dans le cadre de la gestion de la crise, il sera essentiel d'investir dans les initiatives de la société civile afin de prévenir et d’éliminer la violence fondée sur le genre ; de concevoir des programmes qui permettent aux femmes de s’émanciper sur le plan économique, y compris des plans d'accès au logement, à la formation professionnelle et à l’emploi.

 

Revoir le webinaire en intégralité

 

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