Agriculture | "Nous avons ciblé l’agriculture familiale car elle est omniprésente, et indispensable"

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Les défis démographiques et climatiques requièrent le développement et le renforcement des filières agricoles, à travers l’appui aux différents acteurs du secteur. Expertise France participe au développement d’une agriculture résiliente, croisant les questions d’emplois, de climat, de bonne gestion des espaces ruraux et des ressources naturelles. A l'occasion du Salon International de l'Agriculture qui se tient à Paris du 24 février au 3 mars 2024, Expertise France donne la parole à Marie-Christine Monnier, experte mobilisée auprès de l’Observatoire des agricultures du monde.

 

Marie-Christine Monnier est détachée par Expertise France auprès de l’Observatoire des agricultures du monde dont elle est la coordinatrice et qui est porté par l’Organisation des Nations-Unies pour l’Agriculture et l’Alimentation (ONUAA). Elle nous explique les missions de l’Observatoire et les enjeux auxquels il souhaite répondre.

 

 

 

 

Quels sont les défis auxquels font face les exploitants agricoles partout dans le monde ?

Les problématiques agricoles sont revenues sur le devant de la scène en Europe ces dernières semaines mais, depuis longtemps, l’agriculture est en position de faiblesse dans les systèmes alimentaires : ce maillon, pourtant indispensable, est sans doute le plus négligé par les politiques nationales et par les consommateurs. C’est un problème majeur. Dans beaucoup de pays en développement, l’insécurité alimentaire et la sous-nutrition se sont aggravées alors que de grands programmes de modernisation de l’agriculture promettaient de les réduire. Le commerce mondialisé tend à considérer les produits agricoles et alimentaires comme des commodités comparables aux produits industriels mais cela n’a permis ni de garantir aux agriculteurs un niveau de vie décent, ni de nourrir correctement les populations. Il n’y a pas non plus de véritable système de régulation international : les Nations-Unies offrent un espace de discussions et de négociations autour d’un cadre commun mais elles n'ont pas de pouvoir décisionnel.

Par ailleurs, les inégalités qui persistent au sein des sociétés touchent plus fortement les populations rurales et sont exacerbées par l’influence d’acteurs supra nationaux : par exemple, le phénomène de l’accaparement des terres persiste, certaines puissances négocient des droits d’usage en dehors de leur territoire national avec des pays du sud, c’est le cas notamment de la Chine et des pays du Golfe. Les petits paysans sont exclus de ces négociations et des modèles de production étrangers s’imposent au détriment des systèmes traditionnels d’agriculture et de gestion des ressources naturelles. Quand on parle d’agriculture, la préservation du foncier est un sujet très important et on manque aujourd’hui d’outils contraignants qui interdiraient ce type d’accords entre gouvernements et acteurs économiques privés.

Enfin, il y a d’autres facteurs aggravants de déséquilibres sur le long terme, en particulier les dérèglements climatiques : si les capacités d’actions de l’agriculture pour y faire face restent limitées, on peut en atténuer les effets en changeant les pratiques, c’est l’enjeu de l’agroécologie. Mais, depuis des décennies, l’agriculture intensive amoindrit les ressources en eau, détruit les sols, et affecte durablement la biodiversité, et il reste difficile de trouver un consensus sur l’urgence à changer ce mode d’exploitation.

De quelle manière l’Observatoire des agricultures du monde entend répondre à ces défis ?

L’Observatoire est une initiative portée par la France depuis 2011 et hébergée par l’ONUAA, en partenariat avec le Fonds international de développement agricole (FIDA) et le Centre de coopération international et de recherche agronomique pour le développement (CIRAD). L’Observatoire a vocation à renseigner la diversité des exploitations dans le monde pour contribuer à mieux adapter les politiques publiques  et les stratégies d’investissement aux défis dont nous venons de parler. Sa démarche repose sur la production, l’utilisation et le partage de données, en collaboration notamment avec les organisations paysannes et les producteurs, qui sont des partenaires essentiels.

Nous avons ciblé en priorité l’agriculture familiale car elle est omniprésente, et indispensable : 85% des exploitations agricoles dans le monde font moins de deux hectares et 500 millions de fermes- 90% du total- sont familiales, c’est-à-dire que le capital est détenu et le travail exercé par les membres d’une famille. On sait aussi que la majorité de la production alimentaire mondiale provient de ces petites structures.

L’activité de l’Observatoire s’inscrit dans la décennie 2019-2028 des Nations-Unies pour l’agriculture familiale qui vise à favoriser le développement de ce type d’agriculture et à protéger ces fermes familiales compte-tenu de leur importance démographique. Bien sûr, les données ne sont pas toujours accessibles ou sont de qualité inégale. Par exemple pour le continent africain, en 2021, seul un pays sur cinq disposait de chiffres récents. Cependant, les enquêtes de terrain restent la façon la plus efficace d’accéder aux informations et de répondre aux intérêts des acteurs eux-mêmes.

Quels intérêts y trouvent justement les acteurs, localement ?

Les organisations représentatives peuvent bénéficier à travers les données de l’Observatoire d’une meilleure connaissance de leurs membres et ainsi renforcer leurs plaidoyers. Les gouvernements sont aussi concernés : l’enquête récente que nous avons conduite dans le nord-ouest de la Tunisie permettra de renseigner la stratégie nationale de son gouvernement, qui vise notamment à réduire la dépendance aux importations de céréales. Nous positionnons l’Observatoire comme un outil adaptable aux besoins des pays : leur proposer une connaissance plus fine de la diversité des exploitations agricoles peut les aider à développer des stratégies plus efficaces.

A un niveau plus macro, l’ONUAA gère d’autres programmes plus ambitieux, comme le projet « 50 by 2030 », en partenariat avec la Banque Mondiale et le FIDA, qui doit permettre aux cinquante pays les moins avancés de développer des systèmes d’information sur leur agriculture pour pouvoir renseigner leurs engagements vis-à-vis des ODD de la décennie. Les sources de données de l’ONUAA peuvent aussi servir à ça.

Ce qu’il faut retenir, c’est que l’agriculture est diverse et plurielle : elle fait face à de multiples problématiques et, pour accompagner la transformation souhaitée des systèmes alimentaires vers plus de durabilité et de résilience, il faut adapter les politiques agricoles en tenant compte de la diversité des exploitations.

Quelles sont vos missions en tant que coordinatrice de l’Observatoire ?

Mon rôle est avant tout de développer des partenariats et de communiquer sur notre outil afin qu’il suscite l’intérêt d’autres acteurs, dont les partenaires techniques et financiers susceptibles de le soutenir. L’amélioration de la qualité des connaissances est un enjeu fort  au sein d’une institution qui travaille sur le développement.

A l’ONUAA, il m’importe aussi de positionner l’Observatoire en interface avec d’autres programmes et d’autres équipes. Je suis rattachée à la « Division des terres et des eaux », et l’Observatoire apporte aux travaux de ses équipes une meilleure connaissance du milieu paysan. 

Qu’est-il prévu à l’agenda 2024 ?

Nous allons publier prochainement le Guide opérationnel de l’Observatoire : cet outil technique propose un cadre méthodologique de travail aux acteurs qui en ont besoin, mais nous voulons également l’utiliser comme support de communication pour mobiliser les décideurs et les financeurs et pouvoir développer d’autres projets.

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