Faim zéro : le bilan alimentaire, un outil riche en informations pour prévenir l’insécurité alimentaire
La sécurité alimentaire est au cœur des préoccupations des États africains : le dernier rapport mondial sur les crises alimentaires souligne, entre autres, que cinq pays d’Afrique subsaharienne sont en état d’insécurité alimentaire aiguë. Dans le monde, ce sont près de 800 millions de personnes qui souffrent de la faim. La communauté internationale considère donc que l’élimination de la faim et de ses corollaires – le renforcement de la sécurité alimentaire, l’amélioration de la nutrition et la promotion de l’agriculture durable – sont des priorités. À ce titre, elles ont été inscrites dans l’Agenda 2030 et plus spécifiquement dans l’ODD n°2.
Qu’est-ce qu’un bilan alimentaire ?Le bilan alimentaire est un cadre statistique/comptable national qui présente un tableau des disponibilités alimentaires d'un pays au cours d'une période de référence donnée. Il permet, entre autres, d’estimer le taux de sous-alimentation d’une population ou celui des pertes de produits alimentaires d’un pays. Plus important encore : il sert à estimer les pénuries et les excédents alimentaires et donc à estimer la quantité d'aide alimentaire nécessaire en cas de pénurie. Ces données servent de base pour l’élaboration de politiques publiques visant à assurer la sécurité alimentaire. |
Comme pour tous les objectifs fixés dans l’Agenda 2030, atteindre cet ODD implique un suivi de sa mise en œuvre. Cela passe notamment par l’élaboration de bilans alimentaires, un tableau qui réunit plusieurs indicateurs de suivi (voir ci-contre). Chargée du suivi de l’ODD n°2 au niveau mondial, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) recommande que les gouvernements élaborent eux-mêmes leurs bilans alimentaires.
En étroite collaboration avec cette initiative, le projet SODDA contribue à renforcer les capacités de trois pays africains pilotes dans l’élaboration de leurs bilans alimentaires. Le projet a notamment participé au financement des activités de collecte et de compilation des bilans alimentaires en mobilisant quatre experts statisticiens. En phase de finalisation des bilans, il a également permis d’organiser une session de validation des résultats au sein des instituts de statistiques concernés.
Cette activité contribue à la réflexion sur les indicateurs de suivi des ODD en Afrique initiée dans le cadre du projet SODDA, financé par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Dans le cadre de ce projet qu’elle met en œuvre, Expertise France travaille avec l’Insee, l’observatoire Afristat et les instituts de statistiques de ses États membres, ainsi qu’avec les écoles de statistiques africaines – l’ENSAE (Dakar), l’ENSEA (Abidjan), l’ISSEA et l’IFORD (Yaoundé).
Quatre indicateurs estimés au Bénin, en Guinée et au Mali
Selon une méthodologie bien définie et avec l’appui du projet SODDA, le Bénin, la Guinée et le Mali ont chacun estimé quatre indicateurs pour réaliser un premier bilan alimentaire :
• Le taux d’autosuffisance (TAS) permet de mesurer si le pays se suffit de ses propres ressources productives. Plus le TAS est élevé, plus le pays se rapproche de l’autosuffisance. Cependant, lorsqu’une quantité significative de la production intérieure est exportée, le TAS peut être élevé alors que le pays dépend fortement des importations pour nourrir sa propre population.
• Le taux de dépendance aux importations exprime la part des approvisionnements intérieurs qui proviennent des importations. Ce taux n’a de sens que si les importations servent exclusivement à la consommation intérieure et ne sont pas réexportées.
• L’indicateur de sous-alimentation (prévalence de la sous-alimentation) est un indicateur d’accès à la nourriture et une estimation du pourcentage de personnes sous-alimentées dans la population totale. La FAO définit la sous-alimentation comme la « situation dans laquelle la consommation alimentaire habituelle d’un individu est insuffisante pour fournir l’apport énergétique alimentaire nécessaire à une vie normale, saine et active ».
• Le taux de perte alimentaire et de gaspillage tout au long des chaînes de production et d’approvisionnement (y compris après récolte).
L'avis de notre expert
Madior Fall est statisticien-économiste et occupe depuis janvier 2017 le poste d’expert technique international [1] en statistiques sociales, agricoles et environnementales auprès du directeur général d’Afristat, l’observatoire économique et statistique d’Afrique subsaharienne. Auparavant, il a été chargé de mission à l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).
Quelle est la particularité de votre travail auprès d’Afristat ?
En 2010, les instituts nationaux de statistiques, les ministères de l’Agriculture et différentes organisations régionales et internationales ont lancé l’élaboration d’une stratégie mondiale pour l’amélioration des statistiques agricoles et rurales. Cette initiative globale vise à renforcer les capacités des pays en développement pour leur permettre de fournir des statistiques fiables sur l’agriculture, l’alimentation et le développement rural. Celles-ci servent ensuite à la formulation, au suivi et à l’évaluation des politiques de développement. L’initiative vise à rendre le système des statistiques agricoles durable à travers l’amélioration de la gouvernance et le renforcement des capacités en matière de statistiques.
Dans ce cadre, la FAO a signé avec Afristat un protocole d’accord et je suis en charge de la réalisation de ce projet dans plusieurs pays pilotes : Bénin, Guinée, Madagascar, Mali, Cabo Verde et Côte d’Ivoire. À l’issue de ce travail et grâce au projet SODDA, on a pu mener des analyses approfondies des bilans alimentaires notamment en estimant deux indicateurs clés des ODD : la prévalence de la sous-alimentation et les pertes post-récoltes au Bénin, en Guinée et au Mali.
Quelles sont les recommandations qui découlent de cet exercice pour les décideurs politiques des pays concernés ?
L’analyse démontre que la perte prononcée des produits d’origine végétale par rapport aux produits animaux est souvent le reflet du manque d’un système et d’un dispositif de conservation des denrées alimentaires. L’exemple du riz illustre bien cette situation dans la mesure où les pertes peuvent avoisiner un cinquième de la disponibilité intérieure de certains pays.
Ces résultats appellent un certain nombre d’aspects qu’il faut prendre en compte. Tout d’abord, il faut promouvoir les bonnes pratiques de récolte, de stockage et de transformation des produits au niveau national afin de réduire les pertes alimentaires. Mettre en place des dispositifs de qualité de conservation des denrées alimentaires pour diminuer les pertes des produits en général, du riz et du manioc en particulier, est donc primordial.
Pour mieux maîtriser la sous-alimentation dans les pays, nous avons besoin de davantage de données de qualité. Cela pourrait se faire en mettant en place une enquête pour collecter des données sur les quantités de produits réellement consommés par les ménages. Cela permettrait non seulement d’avoir une meilleure estimation des paramètres pour le calcul de la sous-alimentation, mais aussi de connaître le niveau réel de consommation d’énergie des ménages, et cela faciliterait des calculs au niveau désagrégé pour affiner les analyses.
Les gouvernements doivent accompagner les politiques de lutte contre la sous-alimentation en favorisant un environnement sociopolitique, économique et sanitaire résilient. Par exemple, pour la Guinée, l’indicateur de la sous-alimentation, qui évolue à la baisse pour la période avant Ebola, montre le rôle important que joue le climat sociopolitique dans l’amélioration des conditions des populations. C’est une preuve qu’il ne suffit pas seulement de mettre en place des politiques basées sur des projets et des programmes dans le cadre de la lutte contre l’insécurité alimentaire : ce n’est qu’une étape. Il est tout aussi important de créer un environnement sociopolitique et économique favorable en prévenant des phénomènes perturbateurs afin d’avoir des impacts durables pour ces politiques et de réduire la vulnérabilité de la population.
Enfin, le secteur de l’agriculture a besoin d’être soutenu en investissant dans la recherche et le développement, la formation de la main d’œuvre et les équipements afin d’accroître la productivité générale du secteur.
Nos projets
Nos projets de coopération sont la preuve que la coopération internationale peut être un outil réellement efficace au service de l’amélioration de la statistique publique.
Expertise France, s’appuyant sur sa vaste expérience en matière d’assistance statistique et sur son réseau diversifié d’experts, est activement engagée en faveur de la réalisation de cet objectif. Nous contribuons à cet effort mondial de la communauté statistique dans le cadre d’une collaboration étroite avec l’Insee et avec les bureaux statistiques d’autres pays de l’Union européenne.
Pour aller plus loin, rendez-vous sur la fiche du projet SODDA
En savoir plus sur Expertise France et les statistiques
Découvrez l’Institut national français de la statistique sur www.insee.fr
Pour en savoir plus sur Afristat : www.afristat.org
[1] La mise à disposition d’une expertise de longue durée s'insère dans le dispositif de coopération internationale de la France. Placés au sein d’institutions nationales et d’organisations multilatérales, les experts techniques internationaux (ETI) collaborent au quotidien avec nos partenaires à l'étranger tout en leur transmettant leur savoir-faire. Depuis 2016, la gestion de ces missions d’assistance technique a été confiée à Expertise France.