« Au Soudan, il est important de renforcer les compétences pédagogiques des enseignants du primaire »
Jean-Luc Fauguet est sociologue à l’université d’Aix-Marseille, expert international senior en éducation et formation. Mohamed Nour est enseignant à l’université de la Mer Rouge, expert national senior en éducation et formation.
Pourquoi une étude initiale a-t-elle été réalisée ?
Jean-Luc Fauguet – Au démarrage du projet, nous avons été confrontés au manque d’information sur la formation initiale des enseignants du primaire au Soudan. Il nous fallait donc réunir des éléments précis sur les facultés d’éducation et sur les programmes de formation qu’elles proposent, afin que nos recommandations – et les futures politiques publiques – soient fondées sur des données fiables, comparables et actualisées.
Mohamed Nour – Plus précisément, nous avions besoin d’obtenir deux types d’information : des données quantitatives pour avoir des éléments objectifs d’une part, et des études qualitatives pour comprendre les processus à l’œuvre d’autre part. Notre étude a donc réuni ces deux approches.Quel type de données quantitatives avez-vous recueillies ?
Mohamed Nour - Pour la partie quantitative, nous avons diffusé trois questionnaires dont l’objectif était d’avoir une vue d’ensemble de la politique pédagogique de chaque faculté d’éducation. Le premier questionnaire était destiné aux doyens des facultés d’éducation, le second aux formateurs et le troisième a été rempli par les étudiants stagiaires. Ces questionnaires ont été accompagnés d’une fiche de données, qui devait être remplie par chacune des 14 facultés d’éducation. Elle a permis de recueillir des informations sur leurs effectifs, leur mode de fonctionnement, leurs ressources matérielles, le contenu de leur programme de formation, le profil des formateurs, les compétences demandées aux futurs enseignants, le type de stages proposés, etc.
Comment avez-vous procédé pour les études de cas ?
Jean-Luc Fauguet – Notre objectif était d’avoir une vision aussi complète que possible des différents cas de figure possibles, en recensant différentes modalités d’enseignements, différents profils d’enseignants stagiaires, d’écoles et d’élèves. Nous avons choisi les États de Khartoum, de Kassala, de la Mer Rouge et du Nil Blanc, qui présentaient cette diversité.
Mohamed Nour – Pour chacun de ces quatre États, nous avons mené des entretiens et effectué des observations directes pour observer :
• la gestion des écoles et de la formation initiale des enseignants, avec des réunions avec les représentants des ministères en charge de l'éducation et avec les représentants locaux ;
• le processus de formation au sein des facultés d'éducation, où nous avons assisté à des cours et échangé avec les formateurs et les enseignants stagiaires ;
• les pratiques d'enseignement au sein d'écoles primaires avec, à chaque fois, la visite d’une école en zone rurale, d’une école en zone urbaine et d’une école accueillant des élèves dits « vulnérables » (réfugiés ou populations déplacées).
Que tirez-vous de vos observations en salle de classe ?
Jean-Luc Fauguet – Ce travail nous a permis de mieux comprendre la perception des enseignants et d’observer leurs pratiques, leur environnement de travail… Un constat concerne à la fois les facultés d'éducation et les écoles primaires du point de vue de la méthode d’enseignement : cette dernière consiste en des variations de « cours dialogué », qui prennent la forme d’apprentissage des règles et des leçons par cœur, via des récitations de groupe. Les élèves utilisent rarement leurs cahiers quand ils en ont, leurs stylos ou leurs manuels s’ils en disposent. Il peut y avoir des raisons économiques à cela, liées au manque de fournitures scolaires, mais la raison essentielle est que l'écriture a une très faible légitimité aux yeux des formateurs. Elle occupe donc une place réduite ou nulle dans le processus d'apprentissage. Pour y remédier, nous allons travailler avec les formateurs et les futurs enseignants pour renforcer la légitimité de l’écrit comme méthode d’apprentissage, en complément des exercices à l’oral. Nous avons déjà commencé lors des ateliers de formation de formateurs, qui ont commencé en juin 2019.
Quelles pistes identifiez-vous pour améliorer la formation des enseignants ?
Jean-Luc Fauguet – L’étude montre qu’il est important de renforcer les compétences pédagogiques et professionnelles des enseignants, au-delà de leur formation dans les différentes matières enseignées en primaire (mathématiques, sciences, histoire, géographique, anglais et arabe). Les stages, pour leur part, devraient être répartis tout au long des 4 ou 5 années de formation : cela permettrait d’alterner entre théorie et pratique, et donc de mettre en application les savoirs et les méthodes d’enseignement présentés en cours. Ce sont des éléments qui seront discutés avec nos interlocuteurs dans le cadre de la réforme des cursus de formation des enseignants, que le projet contribuera à structurer et à harmoniser.
Mohamed Nour – Un autre point important concerne la coordination entre les différentes institutions impliquées dans la formation initiale des enseignants. L’organisation de celle-ci est très fragmentée. Nous avons constaté que le ministère de l'Enseignement supérieur, le ministère de l'Enseignement général et chacune des 14 facultés d'éducation échangent assez peu. Une partie de notre travail consistera à favoriser les échanges et la collaboration entre tous ces acteurs. Nous avons lancé la dynamique au cours d'une activité lancée après la finalisation de l'étude au printemps 2019 : le processus de construction d'un nouveau cadre de formation initiale des enseignants réunit, au sein d'ateliers, les personnels des 14 facultés d'éducation et les représentants des ministères chargés de l'éducation. Nous essayerons aussi de faire des liens avec la composante « formation continue des enseignants » du programme EQUIP, qui est gérée par le British Council.
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