Au Vanuatu, le bilinguisme à l’université comme atout de développement
Le Vanuatu est membre de l’université du Pacifique Sud (UPS), qui est une université régionale. Pourquoi avoir souhaité créer une université nationale en complément ?
Anne-Sophie Vivier – Le Vanuatu a souhaité créer sa propre université afin de développer une offre de formation axée autour des priorités du pays telles qu’elles sont formulées dans le Plan de développement national du Vanuatu 2016-2030, en particulier le tourisme (qui représente environ 40 % du PIB), l’agriculture et l’environnement. Aujourd’hui, les jeunes ni-Vanuatu peuvent faire leurs études au sein d’universités de la région, comme l’université du Pacifique Sud (UPS), anglophone, ou l’université de Nouvelle-Calédonie (UNC), francophone. Cette mutualisation des ressources au niveau régional fait sens dans le Pacifique Sud, puisque la région est constituée de nombreuses îles. Cependant, ces universités ne proposent pas l’ensemble de leurs formations dans chaque État de la région : les étudiants ni-Vanuatu doivent alors faire leurs études à distance ou s’expatrier, ce qui représente un coût. Le développement d’une offre de formation au Vanuatu devra faciliter la poursuite d’études au-delà du secondaire. C’est très important dans la mesure où les moins de 20 ans représentent une part substantielle de la population et que ces jeunes ont vocation à occuper des postes-clés pour le développement du pays.
Cette université proposera des cursus en français et en anglais. Pourquoi ce choix du bilinguisme ?
Anne-Sophie Vivier – Héritage de la colonisation franco-britannique, l’anglais et le français font aujourd’hui partie des langues nationales reconnues par la Constitution, aux côtés du bislama (ou bichelamar), la langue plus utilisée au quotidien et des langues vernaculaires. Le choix de l’anglais et du français pour l’enseignement supérieur découle du fait que ce sont des langues internationales : les échanges avec le reste du monde seront facilités, par exemple en matière de recherche. Par ailleurs, proposer des cours en français permettra de compenser le déséquilibre entre filières francophones et anglophones au niveau universitaire : l’UPS ne propose que des enseignements en anglais, ce qui désavantage la minorité francophone (souvent estimée à 35 % de la population, contre 65 % d’anglophones1). Enfin, proposer des cursus en français et en anglais, c’est aussi prendre en compte la particularité linguistique du Vanuatu et contribuer à l’unité nationale d’un pays qui compte plus de 100 langues vernaculaires pour près de 280 000 habitants répartis sur 83 îles – soit l’une des plus fortes diversités linguistiques au monde.
Quelle place dans l’enseignement supérieur pour le bislama, la langue véhiculaire utilisée dans l’archipel ?
Anne-Sophie Vivier – La réflexion est ouverte. Il faut savoir que le bislama ne dispose pas d’une grammaire ou d’une orthographe codifiées, ce qui rend plus compliqué son usage comme langue d’enseignement. Cependant, la possibilité de dispenser certains enseignements en bislama n’est pas exclue pour les cours qui s’y prêtent, par exemple sur l’histoire et les coutumes du Vanuatu. Le bislama pourra aussi être utilisé pendant les cours, en soutien aux étudiants qui ne pratiquent pas l’anglais et le français au quotidien. Ces aspects linguistiques sont toujours en cours de réflexion. Un centre de langues va d’ailleurs être mis en place pour disposer d’une expertise sur ces questions : il proposera des programmes de formation et de recherche liés aux questions linguistiques et culturelles propres au Vanuatu.
Quel a été votre rôle en tant qu’experte technique internationale dans la construction de cette université ?
Anne-Sophie Vivier – J’ai pris mon poste en janvier 2017 dans le cadre d’une mission d’assistance technique internationale pour accompagner le développement de l’enseignement supérieur au Vanuatu et favoriser l’intégration régionale dans ce domaine. La première année, j’ai travaillé sur les formations existantes – il n’existait alors qu‘une filière, créée en 2013 – et sur le montage de nouvelles filières, notamment dans l’hôtellerie-tourisme. Comme je suis juriste de formation, ma lettre de mission mettait également l’accent sur l’appui à l’établissement du cadre légal d’une structure universitaire autonome appelée Université nationale de Vanuatu, J’ai donc appuyé la définition du projet, en concertation avec les différents partenaires, nationaux et régionaux. Cela a abouti à un texte, qui a été adopté à l’unanimité par le Parlement le 17 décembre 2019.
Quelles ont été les étapes qui ont conduit à l’adoption de cette loi votée fin 2019 ?
Anne-Sophie Vivier – Ce projet s’inscrit dans un processus qui a démarré il y a un certain nombre d’années déjà. Des filières universitaires délocalisées ont été développées dès 2013, en partenariat avec des universités étrangères francophones et anglophones. En 2020, 320 étudiants poursuivent leurs études dans les filières de licence et de master existantes, créées sur la base de secteurs prioritaires pour le développement durable du Vanuatu2.
Par ailleurs, il existe également des instituts de formation (pour les enseignants, les infirmiers, les policiers…). L’objectif est de les accompagner pour qu’ils élèvent le niveau de qualification proposé et qu’ils puissent progressivement rejoindre l’université nationale. Ce sera déjà le cas en 2021 pour l’institut de formation des enseignants, qui proposera une licence en sciences de l’éducation.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Anne-Sophie Vivier – Après l’entrée en vigueur de la loi le 24 janvier dernier, l’année 2020 sera consacrée à la mise en place des instances dirigeantes ainsi qu’à l’intégration au sein de l’université nationale des filières existantes et de l’Institut de formation des enseignants. Une nouvelle licence doit ouvrir en sciences de l’environnement et une licence en sciences de l’informatique est en réflexion. L’objectif n’est pas de multiplier les filières, mais de développer celles qui correspondent aux priorités actuelles. Par la suite, les autres instituts de formation seront progressivement intégrés et il faudra aussi construire tout le campus pour compléter les bâtiments existants.
Il s’agit d’un très beau projet pour un pays qui est à la fois membre du Commonwealth et de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Le Vanuatu a désormais l’opportunité de faire de son héritage historique un atout pour son développement : il disposera de ressources humaines à la fois plus qualifiées et bilingues, ce qui le différencie des autres pays de la région. Par ailleurs, le Vanuatu offre un terrain de recherche très intéressant – en matière de réchauffement climatique, de sismologie, d’anthropologie, ou encore de linguistique – et la création d’une université nationale lui permettra de former ses propres chercheurs, pour disposer d’une expertise nationale sur ces sujets. Dans ce cadre, la coopération française restera mobilisée pour proposer son appui au Vanuatu et des projets sont déjà à l’étude.
Le mot de Jean-Pierre Nirua, ministre de l’Education et de la Formation du Vanuatu
« Nous avons la lourde responsabilité dans l’édifice de notre université nationale de créer un établissement de formation tertiaire de haut niveau dont les valeurs et les normes se mesureront aux exigences internationales. La valeur spécifique de cette Université nationale de Vanuatu sera mesurée par le niveau de compétences académiques et professionnelles qui ressortira de ses lauréats qualifiés dans les deux langues internationales de l’ONU (…) il est important de nous rappeler la nécessité pour le Vanuatu d'affirmer sa place dans la communauté régionale et internationale en tant que nouvelle nation en développement diplômée qui sortira du groupe des pays les moins avancés en décembre 2020. Une université est un lieu de grande culture de cerveau et d'apprentissage international et les langues françaises et anglaises sont clairement identifiées comme « langues d'enseignement » dans la Constitution, et il est impératif qu'elles soient utilisées simultanément pour l'enseignement et l'apprentissage des élites Ni-Vanuatu de demain. Le bislama et les langues vernaculaires nationales seront recherchés, documentés grammaticalement et enseignés pour les affaires ou la préservation locale et sous régionale lorsqu'ils auront été correctement documentés. Enfin, une université bilingue ou multilingue est ce dont le Vanuatu a besoin pour refléter sa propre identité. En tant que lieu de cohésion sociale, une université bilingue offre l'environnement le plus inclusif aux jeunes Ni-Vanuatu qui aspirent à devenir des citoyens internationaux et de principaux acteurs d’innovation évolutionnaire.»
1 Il n’existe pas de données fiables concernant la répartition linguistique au Vanuatu.
2 Licence en administration économique et sociale en partenariat avec l’Université Toulouse 1 Capitole (2013) ; master en sciences économiques et sociale et master en aménagement et développement des territoires océaniens en partenariat avec l’université de Nouvelle-Calédonie (2017) ; licence en tourisme-hôtellerie en partenariat avec un consortium composé de l’UNC, de l’Université Toulouse 2 Jean-Jaurès, de la Victoria University of Wellington et de la Taylor’s University (2018).