Biodiversité : « Continuer la mobilisation, transformer les intentions en actions »

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Le 30 septembre dernier, les Nations unies organisaient un sommet sur la biodiversité. « L'humanité fait la guerre à la nature. Nous devons reconstruire notre relation avec elle », a déclaré à cette occasion António Guterres, secrétaire général de l’ONU. Quel bilan de ce sommet et quelles étapes avec la COP15 sur la biodiversité, repoussée à 2021 ? Didier Babin et Pauline Teillac-Deschamps font le point.

Didier Babin est chef du projet Post-2020 Biodiversity Framework – EU Support, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par Expertise France. Pauline Teillac-Deschamps est coordinatrice de BIODEV2030, un projet financé par l’Agence française de développement (AFD), coordonné par Expertise France et mis en œuvre conjointement par Expertise France, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et le WWF France.

Pourquoi un sommet sur la biodiversité ?

Pauline Teillac-Deschamps – Les enjeux environnementaux sont devenus des sujets politiques, traités directement par les chefs d’Etat. C’est le cas pour le réchauffement climatique, notamment depuis la COP21 à Paris en 2015. La biodiversité, elle, a tardé à devenir un enjeu de haut niveau. Il fallait donc renforcer la mobilisation sur cette problématique, d’autant plus que la COP15 devait initialement avoir lieu en octobre 2020 : le sommet de l’ONU était l’occasion de préfigurer des engagements ambitieux pour le cadre post-2020 sur la biodiversité. Car il est urgent d’agir. 
 

Quand on détruit la nature, c'est la société elle-même que l'on met en danger


Didier Babin – Effectivement, cette mobilisation est d’autant plus importante que 2020 marque la fin de la décennie mondiale des Nations unies pour la biodiversité, qui poursuivait un objectif principal : arrêter l’érosion de la diversité biologique. Le bilan de cette décennie est celui d’un échec : presqu’aucun des objectifs d’Aïchi, définis en 2010, ne sera atteint, faute de volonté politique forte. C’est un constat partagé par l’ONU et par les scientifiques, mais aussi par les ONG et le secteur privé. Or, il sera impossible d’atteindre les objectifs de développement durable sans faire attention à la planète : près de la moitié du PIB mondial provient de la nature ! Quand on la détruit, c’est donc la société elle-même que l’on met en danger. La crise de la Covid-19 renforce cette prise de conscience de notre interdépendance avec le monde vivant.

En 2020, l'UICN a inscrit 32441 espèces de plantes et d'animaux – dont certaines espèces de cacatoès – sur sa liste rouge des espèces menacées.

Quels ont été les moments forts de ce sommet et plus généralement de la campagne « pour la nature » organisée en amont ?

Didier Babin – L’un des moments fort a été la signature par plus de 70 chefs d’Etat d’un engagement pour la nature, le Leaders’ Pledge For Nature, deux jours avant le sommet. Cet engagement est plus qu’une simple déclaration d’intentions, puisqu’un texte listant 10 actions urgentes pour arrêter le déclin de la biodiversité d’ici 2030 a été signé. A cela s’ajoutent des engagements d’autres types d’acteurs, comme la jeunesse, le secteur financier mais aussi les ONG et les organisations de la société civile à travers le Call to action du partenariat Pavilion Post-2020 liant les questions d’équité, de neutralité carbone et d’action positive pour la nature. Car, au-delà du portage politique de haut niveau, c’est aussi l’implication de toutes les sphères de la société qui est indispensable.
 

C'est l'implication de toutes les sphères de la société qui est indispensable


Pauline Teillac-Deschamps – De nombreux acteurs concernés par la biodiversité ont poursuivi,  malgré les restrictions liées à la Covid-19, les initiatives et la mobilisation pour contribuer à créer un mouvement global, qui permet en retour aux gouvernements de se sentir légitimes à s’engager sur ce sujet. En effet deux approches clés ont été soulignées lors du sommet des Nations unies pour la biodiversité :

• premièrement, le mainstreaming (« approche transversale », en français), qui correspond à la volonté de tenir compte des enjeux de protection de la biodiversité et de gestion durable des ressources naturelles à tous les niveaux de la société et notamment dans l’économie ;

• deuxièmement, le constat que toutes les composantes de la société (décideurs politiques, ONG, entreprises, secteurs de la finance, jeunes, peuples autochtones, etc.) se sont saisies de ce sujet et travaillent à apporter leurs contribution à la construction du cadre post-2020 pour la biodiversité.

 

 

Quels sont les défis d’ici la COP15 sur la biodiversité ?

Pauline Teillac-Deschamps – L’un des enjeux sera d’amplifier ce « momentum » jusqu’à la COP15 l’année prochaine. Il faut accroître la mobilisation, et surtout transformer les intentions en actions, le tout assorti de moyens de mise en œuvre.
 

L’un des enjeux sera d’amplifier ce « momentum » jusqu’à la COP15


Ce sera un vrai défi, d’autant plus que les rencontres formelles ou informelles entre négociateurs pour un nouvel accord sur la biodiversité ont du mal à se tenir en présentiel, du fait des contraintes sanitaires. Il existe aussi un risque que l’argument de la relance économique post-Covid soit utilisé pour différer la prise de décision concernant la biodiversité et, plus largement, l’environnement. C’est une vision simpliste et de court terme, qui reviendrait à nous mener droit dans le mur puisque biodiversité et économie sont indissociables aujourd’hui. Le draft d’accord pour le cadre d’action post-2020 pour la biodiversité se doit d’être plus ambitieux notamment sur l’incontournable contribution des secteurs économiques pour des changements transformationnels de nos sociétés.
 

Il est très positif de voir se mobiliser fortement le monde des affaires


Didier Babin – C’est dès maintenant qu’il faut agir sur ce qui nuit à la biodiversité et transformer nos façons de faire comme producteurs et comme consommateurs. A ce titre, il est très positif de voir se mobiliser fortement le monde des affaires. Les banques et le secteur financier en général ont aussi un rôle central à jouer, pour stopper les investissements qui lui sont néfastes et aussi pour venir compléter les financements pour la biodiversité – qui sont à ce stade principalement publics.

Comment les projets que vous pilotez s’engageront-ils dans ce mouvement ?

Pauline Teillac-Deschamps – Dans le cadre de BIODEV2030, nous travaillons avec l’UICN et le WWF et débutons une phase de diagnostic qui aide seize pays pilotes dans l’identification de leurs vulnérabilités en matière de biodiversité mais aussi des opportunités qui se présentent à eux. Sur cette base, les acteurs concernés (acteurs publics, secteur privé, société civile au sens large) pourront ensuite définir collectivement des engagements sectoriels à l’échelle nationale en vue de la COP15, sur des secteurs économiques clés – clés pour l’économie du pays et clés par leur impact et dépendance aux ressources naturelles. Les engagements sectoriels volontaires ainsi discutés dans chaque pays cible et l’approche utilisée pour les obtenir seront partagés au niveau international pour nourrir le débat pour l’élaboration du Cadre mondial post-2020 pour la biodiversité et sa mise en œuvre.
 

Favoriser l'intégration de la biodiversité aux stratégies de développement


Toute la démarche vise à favoriser l’intégration de la biodiversité aux stratégies de développement, donc le mainstreaming de la biodiversité. Il s’agit aussi de faire le lien avec d’autres grands sujets comme le climat ou encore les objectifs de développement durable. N’oublions pas que la réalisation de 14 des 17 ODD dépend directement de la protection de la biodiversité ! Une société qui permet à l’humanité de vivre dans des conditions décentes est une société qui utilise de façon durable les ressources naturelles, tout en partageant leurs bénéfices équitablement.

Didier Babin – Cela participe à l’élaboration d’un nouveau narratif, celui d’un « monde équitable, neutre en carbone et favorable à la nature », à la définition duquel le projet Post-2020 Biodiversity Framework – EU Support contribue. L’objectif de ce projet, c’est d’appuyer la préparation de la COP15 sur la diversité biologique et sa mise en œuvre, où l’enjeu sera l’adoption d’un plan stratégique pour la biodiversité pour la période post-2020.
 

Appuyer la préparation de la COP15 et sa mise en oeuvre


D’ici la COP15, nous chercherons à accompagner encore plus le processus de négociation, qui doit continuer malgré le contexte sanitaire pour arriver à un accord ambitieux et transformatif. En parallèle, nous poursuivrons la production de documents de réflexion. Enfin, nous continuerons notre appui à la mobilisation de différents types d’acteurs, comme les villes, les organisations non gouvernementales, le monde des affaires ou les mouvements de jeunes. Ces derniers ont été déterminants pour le succès de l’Accord de Paris sur le climat. La biodiversité a besoin de l’engagement de tous et toutes !

 

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