Améliorer la prise en charge des troubles mentaux : focus sur l’Algérie et le Burkina Faso
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la dépression est l’une des causes majeures du handicap, tandis que le suicide est la deuxième cause de mortalité au sein des 15-29 ans. Les personnes souffrant de troubles mentaux importants meurent prématurément – jusqu’à deux décennies plus tôt. Sans oublier l’incidence sur les conditions de vie et les droits des individus touchés : l’OMS souligne que « les personnes atteintes de troubles mentaux se retrouvent beaucoup plus fréquemment sans logement que la population générale et sont plus souvent incarcérées à tort, ce qui accroît encore leur marginalisation et leur vulnérabilité. [1] » Face à cette situation, on observe ces dernières années une prise en compte croissante du rôle important que joue la santé mentale, comme en témoigne l’inclusion de celle-ci dans l’objectif de développement durable n°3 : « D’ici à 2030, réduire d’un tiers, par la prévention et le traitement, le taux de mortalité prématurée due à des maladies non transmissibles et promouvoir la santé mentale et le bien-être. ».
Expertise France, l’agence publique française de coopération technique internationale, travaille en partenariat avec les administrations algériennes et burkinabè. Dans le cadre de projets financés par l’Etat français, l’agence les accompagne de façon à renforcer les capacités de diagnostic et de prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux et du neuro-développement dans ces deux pays.
Vers l’élaboration de nouvelles stratégies nationales
Au Burkina Faso, Expertise France travaille avec le Centre collaborateur français de l’OMS pour la recherche et la formation en santé mentale (CCOMS) pour appuyer les autorités burkinabè à mettre en place une nouvelle stratégie en santé mentale. « Nous avons constaté une forte volonté de l’Etat burkinabè de mettre en place un nouveau plan stratégique de santé mentale 2020-2024, avec des objectifs plus réalistes et axé sur la formation des personnes au sein des communautés, notamment les agents de santé communautaire », explique le Dr Jean-Luc Roelandt, psychiatre et directeur du CCOMS.
Il s’agit d’un réel enjeu dans le pays : selon la Société burkinabè de santé mentale (SOBUSAM), 40% de la population burkinabè – soit environ 7 millions de personnes – présente à un moment donné de sa vie des troubles mentaux, tous types et degrés de gravité inclus. La mission exploratoire menée par le CCOMS en novembre 2018 a permis de constater un faible accès aux traitements et un manque de ressources humaines pour la prise en charge de ces troubles, avec seulement une dizaine de psychiatres pour tout le pays et un nombre très limité de psychologues et d’infirmiers spécialisés.
En Algérie, l’audit mené sur la prise en charge des enfants avec autisme faisait ressortir des problématiques similaires : lors d’une interview en avril 2020, le Pr Mohamed Chakali, sous-directeur de la Promotion de la santé mentale au sein du ministère algérien de la Santé, soulignait à la fois l’importance de la prévalence de l’autisme, la trop grande rareté des structures et des équipes formées sur ce sujet, notamment dans les régions isolées, et le manque d’information et de sensibilisation des parents.
Fondé sur ce constat, le projet Autisme PROFAS C+, mis en œuvre par Expertise France sur financement de l’ambassade de France en Algérie a pour ambition de permettre au pays de se doter de son propre plan national de l’autisme, et de mettre en place un dispositif médico-social national coordonné de dépistage, de diagnostic et de prise en charge en matière d’autisme sur l’ensemble du territoire. Le but est d’assurer une coordination entre les familles qui s’occupent d’enfants avec autisme, le ministère de la Santé, le ministère de l’Education nationale, les associations et les services de pédopsychiatrie dans les hôpitaux. Ce mécanisme de coordination permettra aux familles d’être davantage entendues, mieux accompagner et de coordonner les pratiques au niveau national.
Former des spécialistes, faire le lien avec la société
Dans cette optique, en Algérie, un site internet sera mis en place afin que les familles puissent se renseigner sur les structures spécialisées, à l’aide d’un annuaire en ligne, dans leur région et sur les modalités de prise en charge. Des formations seront développées à destination des familles d’enfant avec autisme, en déconstruisant les tabous et préjugés qui peuvent subsister. Car, « si l’autisme est une affaire de spécialistes, c’est d’abord et toujours une question d’inclusion sociale et scolaire, de valorisation des rôles sociaux », rappelle Saïd Acef, directeur délégué à l’autonomie au sein de l’Agence régionale de santé (ARS) Nouvelle Aquitaine, qui est mobilisé avec le Pr Ghislain Magerotte en tant qu’expert sur le projet. Les formations auront lieu à Alger, à l’est et à l’ouest de l’Algérie afin d’être accessibles aux familles en situation précaire.
Une prochaine mission devrait mobiliser les deux experts début 2021. Entre temps, grâce à l’ambassade de France en Algérie, une plateforme e-campus sera mise à disposition des partenaires algériens, qui pourront ainsi venir assister à des formations à distance dispensées en virtuel depuis Paris. Dans quelques mois, si le contexte sanitaire le permet, les formations des pédopsychiatres aux méthodes de diagnostic et de prise en charge de l’autisme (ABA, TEACCH, Denver) pourront se dérouler en présentiel ou à distance à l’Institut national de santé publique algérien.
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De son côté, le projet déployé au Burkina Faso propose notamment des formations de formateurs et accompagne le développement de conseils locaux de santé mentale (CLSM). L’équipe a pu organiser en septembre 2020 une formation de formateurs destinée aux agents de santé primaire. Parmi les sujets au programme : le guide d’intervention du programme d’action en santé mentale mhGAP [2]. Cet outil développé par l’OMS permet d’identifier et de prendre en charge un certain nombre de pathologies mentales prioritaires (dépression, psychose et troubles bipolaires, suicide, démence…). « Cette formation de formateurs permettra, à terme, de démultiplier le nombre d’agents capables de diagnostiquer et de traiter les troubles mentaux sur le territoire », explique le Dr Roelandt. Les droits des personnes en situation de handicap ont également été abordés, avec, pour la première fois en Afrique francophone, le remplissage du questionnaire élaboré dans le cadre du programme Quality Rights de l’OMS.
Formation en cours au Burkina Faso par le CCOMS à la demande d'@expertisefrance sur les programmes de l'@WHO MhGap et QualityRights, et sur le psychotrauma en partenariat avec le @CN2R_France pic.twitter.com/0BG5XYgnKF
— SanteM_EPSMlmCC (@SanteM_EPSMlmCC) September 23, 2020
Dernier sujet au programme de la formation de septembre, traité en partenariat avec des experts du Centre national de ressources et de résilience (CN2R) : les traumatismes psychiques. Car, dans un contexte de dégradation des conditions sécuritaires au Burkina Faso marquées par des attaques de groupes armés et du déplacement de populations, le renforcement des capacités de prise en charge liées à la résilience post-traumatique des populations est un enjeu majeur – notamment dans les camps de réfugiés.
« Nous ne sommes pas là pour donner des leçons, mais pour accompagner un processus porté par les autorités », explique le Dr Roelandt. « C’est un vrai travail de partage, une co-construction », insiste-t-il. Le contenu du guide mhGAP, par exemple, a été retravaillé avec le ministère de la Santé de façon à être adapté au cadre burkinabè (normes, traitements disponibles…). Plus encore, il s’agit d’impliquer l’ensemble de la société, notamment via le développement des conseils locaux de santé mentale (CLSM). Ces structures, que le Burkina Faso souhaite mettre en place à Ouagadougou, Bobo Dioulasso et Ouahigouya, sont un espace de concertation et de coordination entre les élus, la psychiatrie, les représentants des usagers, les aidants et l’ensemble des professionnels du territoire [3]. « Lors d’une visite d’études à Lille, les personnels municipaux de ces trois villes ont pu échanger avec des élus locaux français sur leur rôle dans les CLSM, ainsi qu’avec un représentant des usagers français qui a partagé son expérience », explique le Dr Roelandt. Le développement des CLSM doit aider à lutter contre le tabou de la santé mentale ainsi que contre la stigmatisation des personnes souffrant de troubles mentaux, découlant des préjugés à leur égard.
[1] Organisation mondiale de la santé, Plan d’action global pour la santé mentale 2012-2020.
[2] Mental Health Gap Action Programme - « Combler les lacunes en santé mentale »