"Il est essentiel que notre pays réponde aux normes strictes actuellement en vigueur dans l’UE."

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Ukraine
Peu après la révolution de Maïdan en 2014, l’Ukraine a lancé une vaste réforme judiciaire. L’Union européenne l’a soutenue avec le projet « Soutien à la réforme du système judiciaire ukrainien ». En 2017, ce projet a été remplacé par le projet européen Pravo-Justice, qui a poursuivi les activités de son prédécesseur." Dans cette interview, M. Hryhorii Usyk, Président du Haut Conseil de la justice ukrainien, revient sur les avancées de ce programme, en particulier dans une perspective d'adhésion à l'Union européenne.

En juin 2024, l’Ukraine a officiellement lancé les négociations d’adhésion à l’UE. Pouvez-vous nous dire comment le HCJ se prépare aux négociations bilatérales ? Quelles étapes ont déjà été franchies et quelles sont les prochaines ?

L’Ukraine s’est engagée sur la voie irréversible de l’adhésion européenne, soutenue par le peuple ukrainien, et il s’agit d’un choix délibéré. En même temps, nous avons conscience que devenir un État membre de l’UE ne se fait pas du jour au lendemain et que, outre notre désir de rejoindre l’UE, nous devons adhérer à de nombreuses normes pour devenir un État membre à part entière. Bien sûr, l’intégration européenne est notre objectif ultime, mais il est essentiel que notre pays réponde aux normes strictes actuellement en vigueur dans l’UE. En juin, nous avons commencé à préparer la feuille de route et les réunions bilatérales entre les représentants de l’Ukraine et de la Commission européenne. Nous ne pouvons pas encore parler de résultats spécifiques, mais nous sommes en train de rédiger les documents nécessaires. Outre le Haut Conseil de la justice, les autorités suivantes sont également impliquées dans le travail sur la sous-section Justice : la Cour suprême, la Haute Commission de qualification des juges, l’administration judiciaire d’État, le bureau du Procureur général, le ministère de la Justice, et l’Agence nationale pour la prévention de la corruption. Chacune de ces autorités prépare des propositions dans son domaine de compétence. Le Haut Conseil de la justice en fera ensuite la synthèse et nous commencerons à organiser des  consultations internes conjointes sur la version finale du document. Je voudrais également souligner que nos partenaires internationaux, tels que le projet Pravo-Justice de l’UE, l’USAID et la GIZ, nous aident.

Comment gérez-vous le manque général de juges et d’autres défis majeurs ?

Lorsque nous avons commencé, la Haute Commission de qualification des juges avait cessé de fonctionner, ce qui signifie qu’aucun juge n’avait été nommé.
Notre tâche la plus importante consistait à restaurer le niveau de confiance du public à l’égard du système judiciaire, qui s’était considérablement dégradé. La priorité était de nommer les membres de la HCQJ responsables des qualifications et de la nomination des juges. Je pense que nous avons réussi à faire preuve de rapidité dans les entretiens et la nomination des candidats. En juin 2023, les premières nominations ont été rétablies et il a été possible de compléter les qualifications. Nous devons chercher des solutions, même temporaires. Il est possible de détacher des juges auprès des tribunaux qui en ont le plus besoin, et un concours visant à pourvoir les postes vacants de juges des cours d’appel s’est ouvert. Nous avons l’intention de nommer ces juges d’ici le milieu de l’année 2025. Des changements ont été apportés à la procédure de sélection, qui était lourde et longue. Le législateur en a tenu compte et désormais, la période de formation a été considérablement raccourcie.
Nous avons hérité d’un énorme retard dans le traitement des affaires disciplinaires et nous devions absolument relancer la fonction. En raison de la guerre, nous avons dû modifier la compétence territoriale des affaires traitées par les tribunaux proches de la ligne de front et transférer les juges vers d’autres tribunaux.
Nous réfléchissons à la manière d’attirer les candidats les plus qualifiés et les plus intègres dans le système judiciaire. Les gens hésitent à devenir juges en raison de la surveillance publique, du suivi du mode de vie et des exigences strictes en matière d’éthique professionnelle et d’intégrité. Enfin, il y a la guerre. Les tribunaux ukrainiens continuent de rendre la justice au péril de leur vie et de leur santé, sous les attaques de missiles. Toutefois, des exigences aussi strictes à l’égard des candidats nous permettent d’espérer que les meilleurs d’entre eux se porteront candidats au poste de juge. Nous essayons également d’examiner les réseaux existants de tribunaux en Ukraine et  de les remodeler par le biais d’un système à distance. Cette démarche est actuellement développée avec le soutien d’organisations internationales et du projet Pravo-Justice de l’UE. Nous espérons que le système sera bientôt disponible, car la mise en place d’une communication et de télécommunications adéquates améliorerait la qualité de la justice. D’une manière générale, les principaux défis auxquels le système judiciaire est confronté sont d’ordre logistique, financier et humain.

En quoi le fait d’avoir obtenu le statut de candidat au Réseau européen des Conseils de la justice (RECJ) vous a-t-il aidé ? Pouvez-vous donner quelques exemples concrets ?

Le HCJ d’Ukraine a acquis le statut d’observateur et s’est réuni à Ljubljana en 2023. Nos relations avec le RECJ constituent une occasion unique et une plateforme d’échange avec des juges de pays européens. Faire partie du RECJ est une chance unique de rencontrer plus de vingt personnalités de toute l’Europe, ce qui représente un atout considérable dans le cadre de notre démarche d’intégration à l’Union européenne. En ce qui concerne le rétablissement de l’État de droit, grâce à ce statut  d’observateur, nous sommes en mesure de participer à des groupes de travail qui abordent de multiples questions liées à l’éthique judiciaire ainsi que de nombreux autres sujets pertinents. Par exemple, l’utilisation de l’IA dans le système juridique, sa pertinence et sa portée sont discutées.
Il s’agit d’une approche très moderne. 

Dans le cadre de notre coopération, nous avons été très surpris de constater que certains problèmes que rencontre l’Ukraine frappent également des démocraties stables, et que dans la quasi-totalité des pays européens, l’attractivité des carrières judiciaires connaît un déclin significatif.

Quelles sont, selon vous, vos principales priorités à l’heure actuelle et comment les voyez-vous évoluer à l’avenir ?

Les sujets qui sont actuellement prioritaires pour le pouvoir judiciaire comprennent la cartographie des tribunaux, la mise en place d’un service d’inspecteurs disciplinaires relevant du Haut Conseil de la justice, la résolution de la crise du personnel dans le pouvoir judiciaire, l’amélioration des procédures de concours, l’amélioration des outils visant à garantir l’indépendance judiciaire, l’élaboration de critères d’intégrité unifiés pour les juges, la garantie de la viabilité et de la cohérence de la jurisprudence, la garantie de l’accès à la justice et l’amélioration de sa qualité et de son efficacité, l’exécution des décisions de justice, la numérisation du système judiciaire, la formation
des juges et l’enseignement du droit en général.

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