COP28 : Les données satellites, au cœur des enjeux de coopération climatique
Surveiller, comprendre et agir grâce à l’étude géospatiale
En octobre 2023, le service changement climatique (C3S) Copernicus annonçait que l'année 2023 pourrait être la plus chaude jamais enregistrée.
Ces résultats s’appuient principalement sur les satellites d’Observation de la Terre qui collectent des données sur le système Terre depuis leur orbite et génèrent de façon répétée et continue des informations sur l’atmosphère, l’océan et les terres émergées. Sans frontières, les satellites assurent une couverture mondiale et une production continue de données en quasi temps réel qui complètent les données terrains. Ils permettent également de surveiller les risques naturels (inondations, feux de forêts, tempêtes...) et l’impact des activités humaines (émissions de gaz à effet de serre - GES, pollution des eaux…) sur la biodiversité.
Indispensables pour comprendre les dynamiques du changement climatique et ses impacts, les données satellitaires alimentent les modèles de prévisions climatiques des scientifiques et des divers groupes d'experts du GIEC.
Mais au-delà de la seule communauté scientifique, les données satellites sont aujourd’hui rendues accessibles à d’autres types d’acteurs pour faciliter la prise de décision, notamment depuis l’opérationnalisation du programme d’Observation de la Terre Copernicus qui génère chaque jour 400.000 milliards de données fournies librement et gratuitement aux autorités publiques, aux entreprises et aux citoyens du monde entier.
Combinées à des technologies numériques telles que l’IA, les données satellites peuvent être transformées en informations exploitables qui permettent de mieux comprendre le climat et les effets des activités anthropiques afin de faciliter la prise de décision pour un futur résilient et neutre en carbone.
De nombreux outils innovants, communément nommés « applications spatiales », ont été développés pour éclairer la prise de décision à court, moyen et long terme. Ces outils permettent ainsi de faciliter l’action immédiate face aux menaces actuelles (catastrophes naturelles, stress hydrique, feux de forêts…) mais également d’appuyer la planification, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques d’adaptation et d’atténuation à moyen et long terme.
Entre atténuation et adaptation, un large champ d’application face au changement climatique
Les données satellites permettent de suivre les émissions de gaz à effet de serre tels que le méthane, le protoxyde d’azote ou le dioxyde de carbone. Les satellites contribuent à l’inventaire mondial des GES prévu tous les cinq ans par l’Accord de Paris et permettront dans quelques années de localiser de façon très précise les sources d’émissions de méthane ou de carbone et la quantité émise.
Elles permettent également, sur le volet du cycle carbone, de contrôler la déforestation et la dégradation du couvert végétal et de caractériser la biomasse présente dans une forêt pour évaluer et comprendre la capacité d’absorption du CO2 et ainsi guider les pratiques de compensation carbone.
Dans l’agriculture, grâce aux données satellite, il est possible d’optimiser l’utilisation d’intrants chimiques en évaluant les besoins réels des cultures et ainsi limiter les apports et les émissions de gaz à effet de serre associés. Ces dernières contribuent également à augmenter les rendements agricoles en favorisant une agriculture de précision et durable, en optimisant la productivité des cultures par une surveillance et une gestion efficaces des terres à irriguer et en améliorant la gestion du bétail. La détection des anomalies et du stress dans les oliveraies ou dans les champs de caféiers en est un exemple concret.
Au-delà des applications ayant un rôle à jouer dans l’atténuation de l’impact de l’activité humaine sur la biodiversité et le climat, les données satellites ouvrent la voie à un mode d’action plus respectueux de la planète, basé sur l’adaptation. Plusieurs secteurs sont porteurs d’avancées en la matière :
Par exemple, les satellites sont des outils indispensables à la gestion des risques naturels : prévention, alerte, évaluation des dommages et appui à la reconstruction. Ils fournissent des informations en quasi-temps réels aux décideurs, forces d’intervention et à la population. En cas de catastrophe, les Etats signataires peuvent activer la Charte internationale Espace et catastrophes majeures pour ainsi accéder à toutes les données satellites disponibles.
L’historique des données et les projections permettent d’évaluer les niveaux de vulnérabilité des infrastructures face aux aléas climatiques (affaissement du sol, inondation…). Elles fournissent des informations pertinentes sur le type de matériaux à utiliser ou la localisation à privilégier pour les nouveaux sites et sont utilisées dans l’aménagement urbain pour contribuer à dessiner des villes intelligentes et durables. A titre d’exemple, des applications spatiales ont été développées pour cartographier les ilots de chaleur pour guider la politique de végétalisation. Elles sont par ailleurs d’une aide précieuse pour gérer leur politique d’aménagement et le risque de submersion face à la montée des eaux et au recul du trait de côte.
Enfin, les données spatiales contribuent également à la préservation de la biodiversité en fournissant des indicateurs permettant la gestion durable des forêts, des mines, des réservoirs d’eau, la surveillance de la pêche illégale, l’évaluation de la santé marine et côtière et la surveillance des itinéraires de braconnage et de contrebande.
Des données géospatiales comme levier de développement et de souveraineté économique
Les données d’Observation de la Terre et ses applications contribuent ainsi à renforcer notre compréhension et nos capacités à s’adapter aux effets du dérèglement du climat. Plus largement, elles contribuent également à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD) de l'Agenda 2030 en réduisant les inégalités d’accès à l’information, un levier crucial, notamment pour les pays du Sud qui sont les plus vulnérables aux effets du changement climatique.
Largement utilisées en Occident, les données spatiales le sont beaucoup moins dans les pays du Sud alors que l’absence d’infrastructures terrestres les rend particulièrement utiles. Elles pourraient jouer un rôle clé et permettre aux pays vulnérables de piloter de façon souveraine leurs trajectoires d’adaptation et de développement durable.
En effet, l’accès libre et ouvert à l’information environnementale est un moyen d’encourager la souveraineté nationale en matière de gestion des ressources naturelles et de prise de décision pour l’avenir, et permet de s’affranchir des dépendances envers d’autres acteurs.
En outre, l'adoption de ces technologies pourrait à terme également se révéler comme un puissant vecteur de développement économique. Elles stimulent la création et le développement de sociétés privées locales spécialisées dans l'analyse de données spatiales et l'IA, favorisant ainsi l'innovation et l'entrepreneuriat, l’élargissement d’emplois qualifiés et soutenant le développement d'un secteur technologique national qui contribue à l'autonomisation économique et à une croissance durable.
Ainsi, les avantages de l'utilisation conjointe des données spatiales et de l'intelligence artificielle s'étendent bien au-delà de la gestion de l'action climatique et constituent également un moteur essentiel pour l'indépendance stratégique, l'innovation, et la prospérité économique des pays du Sud.
L’utilisation des données spatiales se placent donc au cœur des dynamiques de coopérations portées par Expertise France, à l’intersection de l’économie, du développement durable et du capital humain.
L’accès et l’utilisation des données satellites, nouveau moteur des politiques de coopération internationale
Expertise France s’est entourée d’un réseau d’acteurs majeurs du secteur spatial (industrie, recherche et institution) pour construire au mieux la réflexion sur ses projets de coopération. L’agence appuie également la Commission européenne en tant que co-lead du groupe de travail D4D Hub sur l’Observation de la Terre et de l’Espace et soutient la mutualisation des efforts et la structuration d’une feuille de route en collaboration avec l’ensemble des Etats membres.
Expertise France s’engage aussi et surtout aux côtés de ses partenaires dans le cadre de projets de coopération visant à favoriser l’accès aux données spatiales d’Observation de la Terre et à renforcer les capacités d’utilisation de ces données par les parties prenantes, notamment du secteur privé.
En 2021, Expertise France, le ministère de l’Enseignement supérieur de la Recherche et de l’Innovation du Sénégal (MESRI), et l’Ambassade de France au Sénégal ont ainsi organisé des ateliers de réflexion pour préparer une feuille de route visant à développer l’utilisation des données spatiales par les acteurs publics et socio-économiques, tout particulièrement dans certains secteurs d’activité prioritaires comme l’agriculture et l’aménagement des villes et des littoraux.
Ces réflexions se sont poursuivies en juin 2022 lors des « ateliers D4D sur le développement de l’utilisation des données géospatiales au Sénégal » conjointement organisés par Expertise France, Enabel, l’équipe du AU-EU D4D Hub et l’Ambassade de France au Sénégal et en Gambie, en partenariat avec le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (MESRI), le ministère de l’Économie numérique et des Télécommunications (MENT), la délégation générale à l’Entrepreneuriat Rapide des Femmes et des Jeunes (DER/FJ) et le Groupe Interinstitutionnel de coordination et de concertation en géomatique (GICC), avec la participation du ministère de l’Environnement et du Développement durable (MEDD), tout particulièrement le Centre de suivi écologique (CSE).
En 2022, Expertise France a été mandatée par la Direction générale des partenariats internationaux de l’UE (DG INTPA) pour concevoir et mettre en place des événements de sensibilisation aux données spatiales et à leur utilisation partout dans le monde. Plusieurs workshops ont été organisés par Expertise France en partenariat avec la Commission européenne, notamment à Abidjan en Côte d’Ivoire et à Santiago au Chili.
Expertise France accompagne en outre l’Agence Spatiale Rwandaise pour définir une stratégie favorisant la création d’une communauté d’utilisateurs de données spatiales d’Observation de la Terre issues de leur Géohub, une infrastructure souveraine d’accès aux données spatiales financées via un prêt AFD.
En 2024, dans le cadre de la Team Europe Initiative (TEI) Data Governance in Sub-Saharan Africa portée par la Commission européenne, GIZ, ENABEL, ESTDEV, HAUS Institute, Digital Africa et Expertise France, l’agence assurera la mise en œuvre des activités d’assistance technique pour faciliter l’accès aux données spatiales et encourager la montée en compétence des acteurs privées au Sénégal, en Côte d’Ivoire et au Kenya pour développer des applications répondant aux challenges locaux. Le projet Data Governance vise à soutenir une économie des données centrée sur l'homme, conformément au cadre stratégique des données de l'UA à travers plusieurs composantes. En ce sens, il vise à renforcer les politiques et réglementations sur les données personnelles et non personnelles, et à utiliser les données et faciliter les flux transfrontaliers pour générer de la valeur et appuyer les réglementations sectorielles. L'objectif est d'augmenter les propositions d'investissement européens dans des infrastructures de données vertes et sécurisées
Expertise France est également impliquée dans la création et l’accélération de partenariats bilatéraux, notamment en tant que partenaire de la TEI EU-LAC Digital Alliance où elle œuvre à la création de ces échanges dans le secteur spatial entre des entreprises européennes et de la région Amérique Latine et Caraïbes.
Un secteur de niche en pleine (r)évolution
Le secteur spatial est entré dans une phase d’évolution rapide, le « New Space ». Effet combiné de différents progrès technologiques et de l’arrivée de nouveaux entrants, ce phénomène promet une production de données massives encore plus précises, récurrentes et faciles à exploiter grâce à l’IA.
Pour le climat, de nouveaux satellites seront intégrés au programme Copernicus et permettront, entre autres, de mesurer les concentrations de GES avec une résolution de 4 km² et une très grande précision.
Expertise France, s’engage à accompagner ses bénéficiaires à tirer parti de ces innovations pour assurer un développement économique soutenable et renforcer leur résilience face aux effets du changement climatique.
En ce sens, l’agence a justement signé, à l’occasion de la COP28 à Dubaï, la charte du Space Climate Observatory (SCO), en partenariat avec le Centre national d’études spatiales (CNES).